Font-ils un tabac ? n°48

par Erwin Van Hove

07/09/15

DTM Dan Tobacco, Käpt'n Brammer's Rolling Home

Il ne faut pas être un manitou du marketing pour savoir qu'une marque reconnaissable et renommée, ça vaut de l'or. C'est pourquoi je ne comprends rien aux façons des bonnes gens de Lauenburg. Pourtant, par le passé tout était simple, clair et net : Dan Tobacco était la marque sous laquelle la firme Dan Pipe commercialisait ses tabacs. Point barre. Est arrivé le jour où Dan Pipe a décidé de rebaptiser sa division tabac. DTM que ça s'appelait désormais. Pas très sexy comme nom et, ce qui plus est, source de confusion. Ainsi on apprend dans le catalogue de 2004 que le sigle signifie Deutsche Tabak Manufaktur, alors que plus récemment ce nom a été remplacé par Dan Tobacco Manufacturing. Pas efficace non plus. Tapez DTM dans Google et il vous faut patauger à travers des pages et des pages avant de trouver le site web du fabricant de tabacs. Site web dont l'url dantobacco.de/ surprend : pas de trace de DTM. Sur la page d'accueil figurent simultanément le logo de DTM et le nom Dan Tobacco Manufacturing et quand on se met à lire les diverses rubriques, on trouve tantôt DTM, tantôt Dan Tobacco, tantôt DTM Dan Tobacco. Très clair tout ça. Et ça ne s'arrête pas là. Sur ma boîte de Käpt'n Brammer's Rolling Home, seul le nom de Dan Tobacco est mentionné. En caractères minuscules. Mais sur une boîte de St. Bernard Flake achetée au même moment, le logo de DTM saute aux yeux. Vous comprenez ça, vous ? Et quand je me sers de Tobaccoreviews pour essayer de découvrir quels mélanges de Dan Pipe sont commercialisés sous quelle marque, je dois me rendre à l'évidence : DTM n'est simplement pas mentionné dans la liste des marques. Nom d'une pipe, à quoi peut bien servir tant de confusion ? Mais fermons cette parenthèse.

Le Rolling Home donc. Qui fait partie d'un trio de mélanges baptisés Käpt'n Brammer. Permettez-moi de résumer la description sur le site de Dan Pipe : il s'agit de virginias (les meilleurs, disent-ils) et d'un peu de kentucky et d'herbes d'Orient pressés pendant une semaine, puis maturés dans la presse pendant quatre semaines. Le résultat est un mélange pure nature, légèrement doux, velouté, agréable, au goût excellent. Chaque fois que je déguste un tabac dont les caractéristiques correspondent à la description qu'en a faite le blender, je suis bêtement content. Ca m'arrive souvent avec les mélanges de Greg Pease par exemple. Dans le cas du Rolling Home, l'envie me prend de dire ses quatre vérités à l'andouille qui a écrit la description. Parce que c'est très simple : le Rolling Home n'est ni naturel, ni doux, ni velouté, ni agréable. Et pour l'excellence...

Ne perdons donc pas notre temps avec ce mélange à peine médiocre. J'ai trouvé sa composition dans le registre officiel. Pure nature, mon œil : il contient des arômes. D'ailleurs, à part les odeurs de foin du virginia blondinet, je décèle de fades relents assez indéfinissables genre caramel/cacao/pruneau. Pas de trace au nez de kentucky ni d'herbes orientales. Acheté l'année passée, le ready rubbed est vraiment sec. Allumage facile donc et c'est parti pour un long moment d'irritation. Tout d'abord parce que le virginia tend à mordre la langue et à assécher les muqueuses. Vraiment désagréable. Et puis, parce qu'on est irrité par le vide abyssal qui fait office de goût. On fume du foin poivré. Ni plus ni moins.

Personne ne peut être enthousiasmé par le Rolling Home. Personne. Que DTM Dan Tobacco propose ce mélange raté exclusivement en boîtes de 100g, c'est inouï. Je me sens donc doublement arnaqué.

Imperial Tobacco, Echte Friesche Heeren-Baai

Si vous ignorez ce qu'est un baaitabak hollandais, je vous renvoie à mon article sur le Stad Ootmarsum : artfontilsuntabac44. Le mot baai renvoie à Chesapeake Bay, l'immense estuaire qui relie le Maryland et la Virginie à l'océan Atlantique, où dès le 17ième siècle la superpuissance maritime qu'était alors la Hollande, s'approvisionnait en tabac.

La recette de l'Echte Friesche Heeren-Baai date de 1918. A ce moment-là, le mélange est produit par Douwe Egberts, entreprise frisonne de taille spécialisée dans le commerce du café, du thé et du tabac. En 1998, Douwe Egberts cesse ses activités liées au tabac et vend tout son portefeuille à Imperial Tobacco. Est-ce dire que depuis l'Echte Friesche Heeren-Baai n'est plus hollandais ? En 2013, Imperial Tobacco répond par courriel à un pipophile qui veut en avoir le cœur net. Sans divulguer les noms des mélanges dont il s'agit, ils rassurent le consommateur : ils continuent à produire du tabac à pipe dans l'ancienne manufacture de Douwe Egberts à Joure en Frise. Si ce n'est pas un mensonge, ce n'est pas non plus une réponse sincère. En vérité, Imperial Tobacco fait fabriquer l'Echte Friesche Heeren-Baai sous licence chez Heupink & Bloemen, le seul producteur hollandais de baaitabak qui subsiste. Cette décision me semble louable puisqu'elle est garante d'authenticité. Alors pourquoi en faire un secret ? Peut-être parce que Heupink & Bloemen est établi à Ootmarsum, c'est-à-dire à 125km de Joure. Rien à voir avec la Frise. Or, cette distance est incompatible avec le nom du mélange qui le définit comme echte Friesche, ce qui signifie véritable frison.

La pochette de 40g n'est pas scellée, ce qui fait que le tabac est assez sec. Il suffit cependant de souffler pendant une dizaine de secondes à travers le tuyau de la pipe bourrée pour que les brins retrouvent leur souplesse. C'est un mélange de couleur claire en coupe fine. Le nez est surprenant à force d'être neutre. Tout au plus je distingue vaguement de la paille. Impossible donc de déterminer au pif quels tabacs composent le mélange. Aucune indication là-dessus sur la pochette. En faisant quelques recherches, je tombe sur des sources qui se contredisent : selon les unes, la recette est composée de maryland, de java et de virginia, selon les autres de maryland et de burley. Moi, je n'en sais rien.

Après l'allumage, on découvre un tabac en tous points léger : peu de vitamine N, une discrète douceur, des saveurs vaguement épicées, un soupçon de brun, une touche de cigare hollandais. Certains y verront de la délicatesse. Moi, je le juge plutôt anodin et superficiel. Ceci dit, l'Echte Friesche Heeren-Baai est loin d'être désagréable. Je le recommande même comme tabac estival. Jardin, barbecue, rosé, c'est le genre d'atmosphère qui lui convient. Candide et inoffensif, on l'apprécie pour sa personnalité insouciante et accommodante qui n'exige ni soins ni concentration. Je trouve que pareils tabacs ont droit d'existence.

Peterson, 3 P's (Peterson's Perfect Plug)

Le morceau luisant de plug tête de nègre légèrement marbré de blond occupe exactement un tiers du volume de la boîte. Avant de passer à la guillotine, les virginias africains et brésiliens et le Malawi burley ont été pressés, étuvés et maturés. L'aromatisation mentionnée sur la boîte est du genre discret : une touche de pruneau et en découpant de fines lamelles, je sens une légère note mentholée.

Allumage facile et combustion parfaite. Tenez, la première fois que je le déguste, je fais une petite promenade pour m'arrêter dans la civette locale. J'enlève la pipe de la bouche pour y entrer, puis je prends mon temps pour parcourir les tabacs en vente. En sortant, je ne remets pas la pipe en bouche et je rentre tranquillement à la maison. Une affaire de trois minutes. Devant ma porte je me rends compte qu'il sort de la fumée du bec ! Le tabac est toujours allumé et je peux me remettre à fumer ma Morel.

Un plug ne sera jamais léger, mais celui-ci est loin de la force des plugs du Lakeland. Niveau goût, je le trouve vraiment trop monolithique. Il ne se passe pas grand-chose. On est dans un registre très sombre, rustique, boisé et terreux. A part le pruneau dû au casing, pas de notes fruitées. Pas de douceur opulente non plus. Quant au Malawi burley, il ne s'exprime pas sur des notes cacaotées comme chez HU-Tobacco, mais plutôt sur le caoutchouc et la cendre. Un peu tristounet, tout ça.

Sur Tobaccoreviews, le 3P's obtient 4 étoiles, le maximum. Ca me conforte dans mon idée que les amateurs de Peterson, pipes et tabacs confondus, se comportent davantage en fan club pur et dur qu'en dégustateurs judicieux. En vérité, le Peterson's Perfect Plug est tout sauf parfait. Il est surtout barbant et maussade. Pour un Peterson autrement plus réussi, orientez-vous vers l'Irish Flake.