Bouffardes bavardes

par Charles & Simon

26/11/12

Conversations enfumées de Charles & Simon

Mon amour pour le fumage de la pipe a commencé lors de ma dix-neuvième année. La combustion d’ un tabac de qualité offre une multitude de saveurs dont les subtilités n’ont d’égal dans l’ensemble des produits du terroir, spiritueux ou infusions. En plus du goût, il y a un jeu du fumeur avec la fumée et un attachement à l’objet qu’est la bouffarde, si précieuse. J’ai une préférence pour les tabacs de caractère, aux arômes boisés et terreux. Au fil du temps, ma méthode de dégustation s’est précisée : analyse oculaire, olfactive (avant fumage), âge, et conservation, puis allumage et fumage. Je ne me fie jamais à un premier fumage, car l’humeur, l’heure, la pipe ou l’état de santé sont autant de facteurs pouvant influencer mon appréciation.

Simon

La rédaction de cet article de dégustation et de ceux, qui, je l’espère, suivront ce premier volet, n’a d’autre vocation que ce rendre ce qui a été donné. C’est d’abord un acte de reconnaissance envers le travail considérable de Guillaume Laffly qui a permis à nombre de fumeurs de pipe novices, comme moi à une époque, de disposer d’une source d’information substantielle sur l’art du fumage. C’est aussi pour rendre hommage à des fumeurs particulièrement investis et passionnés qui ont un soucis du partage remarquable. Je pense naturellement à Erwin Van Hoove, qui nous a nourris de tant d’articles, brillants de réflexions, de lucidité et d’esprit critique, d’investissement, dans un style toujours aussi agréable à lire. C’est sans conteste l’homme qui a le plus assouvi ma soif de connaissance pipière, au delà des livres et des magasines. Je l’en remercie ici publiquement, et lui dédis cette série d’articles qui, j’en ai la volonté et l’espoir, égalera sa maestria à nous parler de sa passion, et ravira son esprit curieux autant que tous ses articles ont ravis le mien.

Il était temps de commencer à réaliser cette idée de série d’articles de dégustation, qui trottait dans mon esprit depuis de longs mois. De pages noircies de commentaires, de carnets de dégustations fourmillant de notes, voici le résultat : chaque article comprend cinq tabacs dégustés par ses deux rédacteurs, après nombre de fumages individuels et quelques fumages collectifs. L’originalité tient en trois points : d’une part, la dégustation est double, ce qui apporte nécessairement plus de profondeur au commentaire – ce qui a pu échapper à l’un pourra ne pas échapper à l’autre ; la note ensuite, qui permet de juger, certes, mais surtout de comparer (selon une échelle à relativiser qui reste évidemment personnelle et partiale) ; enfin, la conclusion à quatre mains, entre synthèse et compromis, parfois difficile à écrire mais éclairante.

L’amitié au service du partage ; s’il est plaisant de fumer une pipe ou un cigare seul, mes plus beaux moments de dégustation se sont réalisés en compagnie d’amis, par une alchimie assez mystérieuse, je dois l’avouer. Je reste persuadé que l’on fume mieux la pipe accompagné que seul, et ces articles tendent humblement de le prouver.

Charles

La structure des dégustations se présente ainsi : brève présentation du tabac, dégustation de Charles à gauche, dégustation de Simon à droite, puis deux notes et enfin la conclusion, qui est commune. Chaque dégustation commence par une analyse du mélange (nez, toucher), se poursuit par le fumage et son évolution, et se termine par une brève conclusion personnelle. Chaque dégustation n’est pas issue d’un seul fumage, mais d’une approche de long terme de chaque tabac.



Mogano de Schüch

Mogano Schürch

Composition : virginies, orientaux, latakia, feuilles de havane

Au nez, des arômes de fumé et de cuir, très présents, puis des notes vanillées, subtiles.

Le mélange est d’entrée de jeu très complexe, et se dévoile sans ambages. Les arômes portent des notes de cuir, d’écorce, de feu de bois, avec une légère touche de vanille.

Grâce aux feuilles cubaines soutenant les virginies, la fumée est épaisse, très ronde en bouche, avec de la mâche. Le tabac s’enrichit par la suite de douces notes épicées, légèrement poivrées, qui s’enroulent à la saveur boisée.

En milieu de pipe, la force augmente, les arômes deviennent plus terreux, plus sombres, sur un sous-bois mêlé de créosote et de cuir tanné, avec quelques pointes tourbées.
Le final est moins complexe, mais toujours aussi bon et velouté, roboratif.

Points forts : complexité, richesse, rondeur, évolution, roboratif
Points faibles : coupe trop fine, manque de présence aromatique des feuilles de havane

17/20

Quel délice, que d’être au beau milieu d’une forêt sombre et humide, d’ où jaillissent les odeurs de terre et de feuilles mortes ; quel réconfort que de se prélasser devant sa cheminée, humant sa douce fumée !

Ajoutez à cela de subtils épices, du miel et des fruits confits, et vous saurez quel mariage olfactif s’échappe du pot de Mogano, qui dormait dans le fond de l’armoire !

Un allumage rapide donne l’étendue de son caractère : équilibre, complexité, rondeur, piquant. Alors que le fumé du latakia mène la danse avec les épices fins et agréables, les virginies viennent en appui, apportant rondeur et onctuosité, avec cette touche sucrée, voir vanillée. Une fois la pipe chaude, le maître de cérémonie apparait : les feuilles de cigares. Ces dernières complètent le tout en délivrant leur coté terreux, roboratif et puissant, allant de pair avec le vieux cuir émanant des orientaux.

16/20

A l’évidence, un tabac que nous apprécions tous deux. Bien que Simon trouve le mélange plus gourmand, nous sommes d’accord sur les qualités essentielles de ce dernier. Nous conseillons de laisser vieillir ce tabac, qui se bonifie avec le temps de façon saisissante. Un de nos tabacs préférés.

Da Vinci de Cornell & Diehl

Da Vinci Cornell & Diehl

Composition : burley, virginies, latakia (75%)

Le mélange dégage un arôme très fumé, marqué par un feu de bois légèrement épicé.

Dès les premières bouffées, c’est le feu de cheminée qui domine, avec un fumé brut, dont l’arôme est très marqué, presque lourd, tempéré par un côté légèrement épicé.

Par la suite, le goût n’évolue que peu, s’assombrissant à mesure que l’on se rapproche de la fin du fumage ; sur le deuxième tiers, un peu de tourbe enrichit la palette aromatique, sur le troisième, de la terre humide.

Il y a là une belle expression du latakia chypriote, bien que le tabac soit clairement monolithique voir ennuyeux dans les plus grands foyers.

Points forts : très aromatique, bonne qualité du latakia chypriote, combustion
Points faibles : linéarité, peut être lassant

14/20

Dès l’ouverture du pot, on a l’impression de pencher sa tête dans une cheminée nourrie de bois précieux et rares, et dans laquelle brûle un mélange d’épices fins et complexes.

Un allumage aisé nous ouvre à un mélange puissant qui laisse peu de place aux virginies rouges et au burley. On peut cela étant déceler un coté sucré et un boisé profond dont les virginies sont les auteurs. Les latakias sont quant à eux d’ une complexité remarquable et riches en épices.

Le tout reste peu évolutif, linéaire et moyennement roboratif.

12/20

Il faut vraiment apprécier le latakia chypriote pour aimer ce mélange linéaire, ce qui explique la différence dans la notation. Ce mélange très typé est réservé à l’amateur de latakia chypriote ou au fumeur désireux de découvrir cette herbe.

Bouchons de Semois de Vincent Manil

Bouchons de Semois Manil

Composition : burley de la vallée de la Semois, orientaux

Au nez, de la terre, le tabac brun, l’odeur typique du Semois, évidemment, avec un petit côté cigare.

C’est un florilège d’épices dès l’allumage, avec du poivre noir et vert, des épices aigres-doux, sur un fond boisé et légèrement terreux. Le bouchon est doux, la puissance moyenne. Sur certains bouchons, la combustion se fait de biais et la cape brûle mal.
Les épices disparaissent peu à peu, laissant place à un boisé-terreux dominant, renforcé par des notes de noix fraîches, de feuilles mortes, de vieux livres. La puissance augmente, et on retrouve dès lors toute la rusticité des tabacs de la Semois de la maison Manil.
Le dernier tiers est amplement roboratif, les arômes se rétrécissant sur un boisé sombre et viril. Je conseille de fumer ce tabac après un bon dîner.

Points forts : évolution, richesse aromatique, typicité des arômes et du format, roboratif
Points faibles : dernier tiers déséquilibré, combustion de biais, fumage salissant

15/20

Ce mini-cigare révolutionnaire surprend par sa douceur olfactive. Les senteurs de cigare sont légères et la cape non-huileuse (malgré le maintien d’un taux d’ humidité correct).

L’allumage rapide – facilité par une double fente en croix en son sommet – laisse paraître des épices doux et quelques senteurs florales et boisées, presque vanillées.

Au cours du fumage, l’évolution est frappante : la suavité petit à petit devient force et puissance dignes d’un cubain. Au boisé s’ajoute plus tard la terre noire et l’écorce rugueuse d’un arbre.

Le bouchon n’est pas vulgaire, mais roboratif.

14/20

Pour tous deux, le bouchon de Semois est la plus belle expression des tabacs Vincent Manil, plus complexe et moins vulgaire que le reste de la gamme. Pour apprécier pleinement le potentiel du bouchon, nous conseillons un taux d’hygrométrie supérieur à la normale des tabacs à pipe, aux alentours de 30% à 40%.

Dunbar de Esoterica Tobacciana

Dunbar Esoterica Tobacciana

Composition : sept virginies différents, périque

Le mélange dégage un agréable arôme de fruits secs teinté d’un boisé léger.

Le tabac est parfaitement équilibré, sur les fruits secs et un boisé fin, avec un côté végétal. Il est expressif et rond en bouche. Le mélange se complexifie peu à peu, avec l’apparition de notes épicées (poivre blanc), plutôt délicates.
Les arômes se tiennent ainsi à mesure que le fumage avance, avec une puissance en augmentation. La suavité disparaît au dernier tiers, le mélange campant sur des arômes boisés plus corsés qu’au départ, végétaux légèrement amers, et sur les épices doux.

Dans l’ensemble, le mélange est linéaire, le périque peu expressif, mais le tout est bien construit et de bonne qualité.

Points forts : équilibre, richesse aromatique, rondeur, combustion
Points faibles : linéarité, manque de complexité, non rassasiant

13/20

Explosion de saveurs !
Le chiffre sept induit une démultiplication d’arômes : fruits confits, sucre, chocolat, raisin, peau d’orange confite.

La qualité des virginies apporte une fumée épaisse et ronde. A partir du second tiers font surface quelques épices et une sensation de boisé – symbole de l’éveil du périque.

Ce mélange plutôt estival est gourmand, léger, pluriel.

De façon générale, on notera une certaine linéarité, tout aussi bien en puissance qu’en arômes.

13/20

Nous nous rejoignons sur l’essentiel. Nous conseillons de fumer ce tabac en matinée, à l’heure du thé ou lors d’une promenade, de par son caractère léger et linéaire. Un bon virginie, agréable et gourmand.

Kendal Plug de Samuel Gawith

Kendal Plug Samuel Gawith

Composition : virginies

Un nez fait de pruneau séché et de figue sucrée, très avenant, tout comme l’aspect du plug avec ses nuances allant du marron au beige foncé.

Le tabac est agréable, mêlant un boisé dominant (rappelant le sous-bois) et quelques arômes de fruits secs. Ce n’est pas un mélange gourmand, la teneur en sucre est assez faible.

Au deuxième tiers, les virginies rouges évoluent vers un arôme plus épicé, avec plus de rondeur en bouche.

La fin de la pipe est plus ennuyeuse, resserrée sur la terre et quelques restes de la note boisée.
Pas de piquant ni de mordant, mais des problèmes de combustion en fonction de la coupe du plug ; je conseille un émiettage plutôt fin et un taux d’hygrométrie bas.

Points forts : équilibre, puissance, rondeur
Points faibles : linéarité du dernier tiers, combustion, manque de gourmandise

12/20

C’ est un tabac de voyageurs.
Les senteurs rappellent un vieux thé et des pruneaux séchés.

L’allumage – complexe – délivre un boisé sombre accompagné d’épices.

Ne nous fions pas à la composition, les virginies sont très corsés, mais de bonne qualité. La puissance – sans vulgarité – apporte un nouveau souffle à cette variété, nous éloignant des classiques fruits secs pour nous diriger vers une fumée sombre et légèrement piquante à partir du troisième tiers. Sont mêlés rondeur, longueur en bouche et onctuosité.

Ce tabac a quelque chose de chaud, comme un bol de chocolat épais. Il conviendra en digestion d’un repas gourmand.

14/20

Un coup de cœur de Simon. Nous conseillons toutefois d’ avoir un palais habitué aux tabacs puissants. L’ estomac vide, il peut également laisser une impression désagréable. Cette coupe demande un certain temps de préparation, mais une liberté dans le choix de la coupe qui participe au plaisir du fumage.