Mes sorties en boites n°5

par Nightcap

22/02/16

Ambassador’s blend, de Hearth & Home

Au nez, comme çà, je me suis dit : « Lazare, Lazare, sors de cette boite… Oui, c’est peut-être une renaissance. Un retour du pays des morts. Une résurrection ? »

Car il y a un côté vaudou, là-dedans. Une histoire de morts-vivants… Par goût personnel… et / ou par intérêt commercial, Russ Ouellette, célèbre blender yankee, aime faire revivre les trépassés.
Que veux-tu : c’est sa passion, une partie de son business.

Dans cette ligne, il avait déjà fait deux mélanges – le Black House (version balkanique) et le White Knight (version plus « anglaise »), en hommage au vieux Balkan Sobranie. Il a également inventé Day break, en hommage à l’ancien Early morning de Dunhill – du temps où ce mélange était produit par Murray. Il a produit par ailleurs de nombreux tabacs, dont beaucoup se veulent plus ou moins dans la grande tradition des grands disparus : le Magnum Opus (version Perique) et le Larry’s blend.

Et il a produit cet Ambassador’s blend. Lequel se revendique officiellement comme une « reproduction » du London et surtout du Standard Mixture que vendait Dunhill… à l’époque où un anglais était encore un anglais, où il y avait 12 schillings dans une pound, des trade-unions sérieux, et où les docks de Londres abritaient encore des fantômes d’éventreurs, plutôt que des Club Med pour hipsters.

Pari difficile. A mon goût – j’en ai fumé 15 ans, tous les jours – le Dunhill Standard Full de Dunhill Murray était l’archétype des grands blends britanniques – et le London mixture suivait juste derrière, pour les jours où ta papille, lassée de tant de verve latakiée, demandait la caresse d’un Virginia plus suave.
Dès lors, pour remplacer çà, pour se revendiquer de ces tabacs de légende, j’te l’dis : faut assurer velu. Il faut même un culot monstre et, comme aime à me le répéter une amie mexicaine, des « cojones como des melons d’eau, no ? ».

Pourtant, à l’ouverture, il est vrai, ça assure. La coupe est assez grosse, avec du noir–noir et un peu de jaune paille : visuellement, c’est appétissant. Au nez, de surcroît, le tout dégage un parfum extrêmement réussi, une odeur d’anglais plutôt bien équilibrée, du fumé élégant, de la cheminée da campagne de bonne tenue, qui met bien le Latakia en première ligne –à laquelle se mêle toutefois, au loin, comme des relents de fruits secs, et une très discrète fragrance de prune / figue, qui pourrait bien faire penser à la présence d’un fond de Perique.

Mais non, il n’y a pas d’herbe de Saint James, là-dedans. Juste la Sainte trinité des anglais « classiques » : Latakia, Orientaux, Virginias. Du classique, quoi. Et un nez remarquable.

Du coup, forcément, je salive : cri primal, réminiscence, régression… à la recherche du blend perdu. Ce Toto aurait-il réussi à me recréer mon Standard mixture ?
Russ, t’as beau être un gros barbu, si tu as fait ça, j’t’épouse.
Et vas-y que je tête.

Mais là, au fumage, on dérive un peu. Oh, il faut être honnête : c’est bon. Crémeux au début, très délicat. Fumé, mais assez peu. Oriental ? Oui, légèrement : du Basma + Yenidze, sans doute. Mais les arômes qui se profilent, derrière, viennent d’abord des VA : acidulés comme un bonbon anglais citron-groseille, au début, et nappés par du citron beurré… Avec une (très) légère piqure de la langue.
Nous ne sommes pas très loin, nous sommes même tout prêt d’un Penzance, en moins oriental ; et pas si éloignés d’un 1812 Barling. Avec des délicatesses, du parfumé qui sent, sous la voilette, la vieille dame pomponnée, et les fragrances d’une Anglaise qui se parfumerait à la « jelly ».

Ah, oui. C’est excellent.

Mais, déception : nous sommes loin, hélas, du grand Dunhill Standard de l’époque Murray.

Pourquoi ? Excellente question (je te remercie de me la suggérer…) - et à laquelle, pourtant, j’ai du mal à répondre.
Parce que ce grand mélange, lui, ne cherchait pas à plaire ? Parce qu’un vieux Saint-Estèphe bourru et sombre - plein de corps, de tanins, et de bois, assis sur l’âpreté d’un Petit verdot -, me semblera toujours plus aimable qu’un Beaujolais aromatisé vanille-banane par sa macération à froid ; voire qu’un Pomerol exhibant la douceur de son Merlot comme une ado son string ?
Parce que je n’aime pas la facilité, que je prends souvent pour de la vulgarité. Parce qu’un Partagas d’il y a 40 ans ferait se révulser un jeune fumeur de cigare d’aujourd’hui, habitué à des goûts qu’il juge tout à la fois « plus subtils » (mon cul…), et surtout plus doux.
Parce que je suis vieux, peut-être… (pfffff) ? Parce que les goûts évoluent, old chap.

Cela n’empêche pas l’Ambassador’s blend d’être un excellent mélange – qui, soyons justes, se situe bien au-dessus du niveau du string.

Au fur et à mesure, ce diplomate de haute lignée dévoile même avec élégance de la fumée légère, du toast, du citron, un peu de poivre blanc, du biscuit au beurre… et si on tire trop fort dessus, du plateau de fruits de mer en arrière-goût (un peu de citron, du seigle et du salé algues coquillages). Le tout, ce qui est plus rare, avec du corps, de la « mâche », comme on dit pour le vin – davantage, notamment, que d’autres tentatives de réminiscences dunhillesques, comme le Wilderness ou le Legend de Mc Clelland. Et davantage, également, que le petit frère du Ambassador’s blend, également tricoté par Ouellette : le Admiralty, délicieux, mais plus léger et plus citronné.

Joli, très joli mélange. Non, franchement, Russ, c’est beau, c’est bon : c’est même un très bel anglais, que tu nous as pondu là.
Pourtant, oublie l’église, le bal, la pièce montée et la bénédiction du pasteur. Nous ne convolerons pas ensemble.

En tant qu’orphelin attitré, reconnu par la Reine, du Dunhill Standard Mixture Full : je serai franc. L’Ambassador’s blend est peut-être l’héritier du Standard Mixture Medium. Voire même du London Mixture d’antan, pour les saveurs virginiennes, doucement fruitées qu’il affiche au départ, et sa complexité. Ce n’est déjà pas mal. Pas mal du tout. C’est même excellent.
Mais il n’est pas le descendant direct de mon mélange chéri.

Je te le dis, old chap : il manque, hélas, de Latakia, de force et de tragique, pour toucher l’héritage…

Du moins, à mon avis ;-)

Quiet nights, de G.L. Pease

D’emblée, t’es dans Shakespeare. Comme dans Macbeth, tu as droit à 3 sorcières, dès la scène 1 de l’acte 1. Voire à 4, ne mégotons pas.
A l’ouverture, première sorcière : cela sent un parfum fumé très présent (genre : fin de feu de cheminée, quand ça tourne à la braise), venu du Latakia.
Mais aussi (2e louloute) : des odeurs d’étable : un peu de grange, d’acidité bovine, mélangé à des fonds de sauce au ketchup (merci le Perique).
Avec (3e enchanteresse) : des senteurs d’herbe de bord de rivière, de foin qui chauffe (bonjour les Virginias).
Et derrière, dans le fond, la 4e magicienne, qui te marmonne du floral acidulé, des zest de myrrhe, comme seuls les grands orientaux – et notamment le Yenidje – peuvent en produire.

C’est tout ? Oui. Et c‘est déjà pas mal. C’est même unique.

Tu me diras, car t’es blasé : bof, ce genre de composition est quand même un classique. Après tout, le Nightcap de Dunhill est fondé sur le même mélange : LA / PE / VA / OR. L’Artisan’s blend d’Ashton aussi, d’ailleurs.

Oui, te répondrais-je. Mais quand tu ouvres du Nightcap, et plus encore de l’Artisan’s, tu sens un parfum global : les odeurs se mêlent et se fondent plus ou moins. Dans le Quiet Nights, non. Comme les 3 witches de Macbeth, les saveurs y parlent distinctement, dès l’ouverture du rideau. Rappel :

PREMIÈRE SORCIÈRE : Quand nous réunirons-nous de nouveau toutes les trois, — en coup de tonnerre, en éclair, ou en pluie ?
DEUXIÈME SORCIÈRE : Quand le hourvari aura cessé, — quand la bataille sera perdue et gagnée.
TROISIÈME SORCIÈRE : Ce sera avant le coucher du soleil.
PREMIÈRE SORCIÈRE : En quel lieu ?
DEUXIÈME SORCIÈRE : Sur la bruyère…

Alors, ok, les filles : allons voir « sur la bruyère » de nos fourneaux, ce que donne ce hourvari gustatif. Allumage.

Tiens ?! Au début, c’est léger. Bien plus que le(s) parfum(s) qui sort(ent) de la boite. Parfumé, presque floral. Puis monte de la douceur fumée, comme une odeur de crème caramel mise à cuire au bain marie, sur un feu de sarment ; mais, aussi, avec des senteurs d’ensilage. Et du poivre, dans les narines.

Déjà, c’est bien. Mais vite, cela devient mieux encore. Le fumé monte en gamme. Mais toujours avec le Perique, derrière, qui vient vinaigrer un peu le feu de camp. Avec des douceurs de Virginias, suaves, qui viennent sucrer à la chose. Plus : un zest d’encens oriental. Et des saveurs, dans tous les coins, qui s’entrecroisent en festival. Au point que, déjà, tu ne sais plus où donner de la narine.
Au point même que, très vite, tu as la papille qui traque en zigzag ; et les sensoriels en mode harem.

C’est vrai, je le confesse. Il y a tromperie sur le titre. D’un tabac qui s’appelle « Nuits tranquilles », tu attends du doux, du suave, du monocorde; du « P’tit Quinquin » paisible et somnifère. Du simple, quoi.
Ben non. Avec le Quiet, tu baignes dans la polyphonie ; ou dans Shakespeare, avec tout un séminaire de sorcières échevelées et lascives, qui te dansent les 7 voiles tout autour de la langue.

« Je me demande si ce genre de poids lourd est vraiment le tabac idéal pour passer une nuit tranquille », a écrit Erwin.
artfontilsuntabac3
Certes… Essaye de t’endormir comme un enfant, au cœur du grand gynécée du vizir, un soir de fièvre… et tu m’appelles après.
Le Quiet Nights, indique un autre critique sur Tobacco Reviews, est « probablement le blend le plus complexe que j’ai jamais mis dans ma pipe ».
Et je souscris aussi à cette parole très juste.

De fait, ce truc est – certainement, en ce qui me concerne - le plus contrasté, le plus compliqué, le plus multiple de tous les tabacs que j’ai fumé jusqu’alors.
Mais justement, c’est ce qui le rend excellent, à mon goût.

Ici les Virginias rouges s’expriment, ils sont magnifiques, sucrés mais un zest amers, avec de la campagne et des fleurs. Mais aussi les Orientaux, de plus en plus fort, dans le registre doux acide (je dirais : un mélange Yenidze / Smyrna), mélange qui tire – Erwin l’a noté également – vers le vineux de belle tenue. Pendant que le Latakia dégage un petit nuage de créosote bienvenu.
Pire, au gré du fumage, et des combinaisons de telle ou telle herbe, la ronde s’endiable. Au menu : de la bergamote, ou plutôt du thé à la bergamote (Earl grey) ; et de la rose déjà fanée, voire pourrissante ; du potager (odeurs de concombres, de persil, voire un peu de sel de céleri) ; et de l’entrecôte persillée grillée ; et du genièvre qui se profilait déjà en douce, avant de tomber le masque ; et de la noix, par bouffées.

Le sucré et le salé s’entremêlent, au fur et à mesure que la Latakia joue avec les Virginias, ou avec les turcs. Et tu as le sentiment qu’en variant les associations (LA / VA – OR / PE – PE – VA… etc.), le Quiet Nights joue à passer en revue toutes les combinaisons possibles qu’offrent ces 4 tabacs d’origine.

(Je rappelle, pour faire mon pédant, que l’ensemble des combinaisons qu’offre un ensemble de 4 éléments s’obtient par l’addition des formules Cnp = Cn − 1p + Cn − 1p – 1, avec p = 4, et n variant de 1 à 4 – ce qui donne, à la fin, 15 combinaisons possibles de 1 à 4 éléments).

Oui, ami blasé : la formule de base (LA / PE / VA / OR) est un classique. Mais, non, le Quiet ne ressemble à rien. Ou alors : à un Nightcap qui oublierait complètement d’être aussi univoque. A un Artisans blend, fortement contrasté sous Photoshop. A du Balkan Blue en plus salé - auquel le Perique rajouterait, de surcroît, un zest de vinaigre de jerez, des prunes et de la figue…

La fin de bol elle-même est déroutante. Subitement, tu prends dans le nez un grand coup de foin fermenté, comme un coup de torchon humide, qui balaye les orientaux, qui les glisse sous le buffet (ils n’ont pas disparu, mais jouent mezzo voce). Avant que le tout ne se fonde dans un anglais assez latakié, salé, dominé par le gingembre et l’amer…
Résultat : tu termines, épuisé, mais heureux – en gardant dans la bouche un parfum de sorcières lourd comme la débauche, mais doux comme l’amour.

Morale ? Si tu rêves de tabacs simples, de bonheurs familiaux, de traversins bien ronds où reposer ta joue d’enfant, dans le calme des nuits monogames, oublie le Quiet.

Même Erwin a craqué : « à chaque fois que j’ai essayé ce mélange, il a commencé à me fatiguer. » indiquait-il dans sa chronique.
Je peux comprendre.
Mais si tu rêves de liaisons théâtrales, de drames et de suspens, de sensualités complexes, d’intrigues shakespeariennes mais orgiaques… le G.L. Pease est un must.

L’un des tous meilleurs tabacs du monde, selon moi.
Et le seul qui sache aussi bien te jouer « Ma nuit au harem »…

A mon avis ;-)

Balkan Supreme, de Arango

Ce doit être une merveille, c’est sûr. Il ne peut en être autrement : ce blend a obtenu le 1er prix, catégorie tabacs anglais, lors du grand Chicago Pipe Show de 2014.

Or c’est notamment le Chicago Pipe Collectors Club, organisateur de ce Show, qui a produit avec McClelland des tabacs comme le Samovar. C’est dire le niveau où l’on se place.

Certes : Arango n’est, à l’origine, qu’un groupe cigarier qui - si j’ai bien tout compris - a racheté en 2009, les droits de "Buteras"; lesquels incluent les: Butera’s Royal Vintage produits par McClelland , les Esoterica ; et différentes familles, parmi lesquelles le Kingfisher issu de chez JF Germain and le Pelican de Peter Stokkebye.

Mais après tout, ceci peut, également, signifier l’excellence : ces braves gens de chez Arango ne produisent qu’un seul tabac directement sous leur nom : ce Balkan Supreme – vendu en vrac. Ils devraient donc le chouchouter tout spécialement.

Donc je me rue. Donc je teste. Honnêtement. Si, si. Cinq bols d’affilée, dans de la porcelaine, de la bruyère, plusieurs bruyères.
Fichu métier. ;-)

Au nez, c’est clair : c’est d’emblée un « Anglais barycentre ». J’entends par là qu’il se situe pile au centre d’équilibre entre ses différentes composantes : Latakia, Black Cavendish, Virginias et Oriental (Samsun).
Rien ne s’en distingue, donc, sinon une moyenne bien équilibrée où se confondent du fumé (léger), du caramel (léger), du foin mûr (discret) et quelque chose qui renifle comme du bonbon des Vosges. Bof, sinon beuark. Le Wild Atlantic de chez Peterson n’est pas loin (beuueheuuuaaaaaaark). Méfiance.

Au fumage, pareil : on distingue (très difficilement) de la noix de pécan, du miel de montagne, du fumé très doux et fondu, avec une très légère amertume en dessous, comme une trace imperceptible d’eucalyptus ; comme le goût à peine âcre que la filtration au charbon produit dans certains Bourbons. Bref, re-bof : rien de franchement nirvananesque.

Mais le pire, sans doute, c’est ça se prolonge ainsi durant toute la durée du bol. Car de surcroît, la note évolutive est voisine du degré zéro des cartes.

Résultat ? Ce n’est pas un Anglais latakié ; ni un balkanique orientalisant ; ni un Virginien déguisé. C’est une soupe barycentrique. Sur laquelle le Cavendish vient, de surcroît, rajouter du sucraillé.

Or, comme me l’écrivait récemment un copain présent sur les Forums, en parlant d’un autre « anglo-cavendishé » : « Ce n’est pas que ce soit totalement mauvais ; mais le Cavendish, dans un Anglais, c’est comme ouvrir une belle bouteille de Saumur blanc, sur des huîtres ; et découvrir alors que ta copine a, par erreur, acheté du demi-sec » : çà gâche pas mal le plaisir.

Oh… Je comprends que cela ait pu plaire. Par défaut.
Comme toutes les moyennes, dans un monde conformiste, ce truc ne peut vraiment choquer personne. Mais franchement… de là à l’élire comme le meilleur Anglais de l’année, faut m’expliquer.

Je ne sais pas s’il y avait une épidémie de rhume, au Pipe Show de Chicago 2014; ou si les fumeurs du coin, en phase de régression infantile, étaient en manque criant de caramels ultra–mous. Mais soyons clairs : l’Arango Balkan Supreme, comme toute moyenne, n’est que (très) moyen. Voire parfaitement médiocre.

A mon avis ;-)

Flake, de Dunhill

Tu vois, au fond… Si je devais arrêter les tabacs Anglais, si un jour je me dégoûtais du balkanique ; si pour je ne sais quelle raison les arômes des orientaux ne m’orgasmaient plus la papille… et si mon destin venait à s’engager sous d’autres drapeaux que l’oriflamme noire et fière de mon Latakia chyprio-syrien…

… Il me resterait toutefois du bonheur - british également ! … Et même du plaisir pur, enfermé dans une petite boite bleue et blanche compacte et sage comme une boite de pastilles médicamenteuses d’antan.

A l’intérieur, rien d’extraordinaire, certes. Des flakes marron clair, très propres et bien coupés – comme on en connaît tant. Du Virginia, c’est sûr. Rien que des bouts de Virginia - un peu – un peu trop – humides. Et à la vue, de prime abord, pas de quoi sauter au plafond.

Mais si, s’amorçant entre les yeux et dégoulinant vers ta bouche, tu possèdes au centre du visage un appendice étrange, percé de deux trous symétriques à son extrémité australe, la chose change du tout au tout. Car au nez, dans la boite : le Dunhill Flake s’annonce déjà comme un régal pur.

Attention : contrairement à des tabacs « multiples » (voir ci-dessus, par exemple, le Quiet Nights), le Dunhill Flake ne va pas te faire le coup du harem, et des senteurs qui s’entrecroisent comme les jets des Blue Angels en plein exercice de voltige (je pourrais dire : de la Patrouille de France, mais c’est moins exotique).

Non. Le Dunhill flake est puissant, mais fondu. Là où des blends comme le Quiet te la jouent en dialogues d’opéra, le Dunhilll flake se décline à l’orgue. Ce qui rend la chose sans doute tout aussi complexe, mais bien plus délicate à décrire de façon analytique.

Disons que se mêlent, au nez, du foin en phase de fermentation, de la terre, un peu de citron, du pain, de la noix, un bout de chocolat… mais surtout : du raisin - de la prune - de la figue très mûrs, voire séchés. Le tout donnant finalement un parfum d’ouverture tout à la fois très riche, et fruité - qui enterre magistralement tout ce que je peux connaître, comme senteurs de flakes virginiens.

Je viens de faire le test, et je t’engage à le tenter un jour. Tu poses sur ta table, et tu humes en même temps : du Capstan bleu (plus sucré), du Capstan jaune (plus de senteur de foin), du Full Virginia Flake (plus terreux), du Wessex Brigade Campaign dark flake (plus fumé) , du Wessex Brown Virginia Flake (plus anisé) et même du Scottish cake dont je pense tant de bien (plus mielleux). Puis tu respires le Dunhill. Et, in fine, sans hésitation aucune, envoûté par ce mélange qui réunit le tout et y ajoute ces fruits… tu te rues sur ce dernier, comme un requin marteau sur un surfeur australien à l’heure du breakfast.

Au fumage : idem. C’est riche, c’est profond, c’est cosy comme de la belle flanelle, cela produit même des nuages de fumée blanche à faire pâlir un transatlantique de l’entre-deux guerre. Et cela sent, de plus, tout ce que le nez promettait. Voire mieux encore : ajoute à la liste établie ci-dessus du cuir, davantage de chocolat amer, un nuage très léger de poivre, et tu auras les saveurs de mi-bol.
Mais encore une fois : le tout de façon parfaitement fondue ; et dans une complexité réelle - mais discrète, voire secrète.

Pas évolutif, le Dunhill flake ? Sans doute (ou à peine : des odeurs d’orange séchée émergent peu à peu, en cours de fumage ; avec des notes très fugaces qui feraient penser à de la framboise - guère plus).
On est loin des fragrances contrastées des virginiens de Mc Clelland, et des montagnes russes vaguement vinaigrées par lesquelles ces blends font valser tes papilles. Mais tant pis – ou tant mieux : car le Dunhill Flake est excellent dès le début, et le reste jusqu’à la fin.

Un zoulou, sur Tobacco Reviews (TR), déclare même sans ambages : le Dunhill Flake « représente la quintessence du straight Virginia. La mesure à l’aune de laquelle tous les autres devraient être jugés ». Peut-être, old chap, peut-être. Je n’oserais aller jusque-là. M’en reste trop à tester. Mais un autre zoulou, toujours sur TR, compare ce flake à un formidable Porto, « big, sweet and fruity ».
Et là je dis : pas mieux.

Au nez comme au goût, le Dunhill flake, c’est effectivement cela : quelque chose comme un somptueux « Tawny » d’au moins 30 ans d’âge, qu’on siroterait assis dans la bibliothèque d’un club de Mayfair, tout en lisant le Times un soir d’été.
Bref, il y a pire…

Voire : mais que c’est bon, ce truc !...

Du moins, à mon avis. ;-)