Errances d’une volute

par Laurent M

22/04/19

Saison 4 - Semois l’archipélagiste

A peine croit-on qu’on en a fini des îles qu’elles viennent et reviennent, comme une marée qui n’en finit pas. Elles sont des archipels qui ré-émergent de continents engloutis, sorte d’Atlandide fabuleux et infinis.

“Chacune (des îles) est un monde. Elles flottent, glissent, disparaissent, éparses. On dirait des univers. Parfois elles s’émiettent, taches de soleil dispersées par le vent. Quel est leur trait d’union ? La navigation. Le sillage est celui d’un collier de perles éperdues.(...) L’île se prend dans sa propre enveloppe. Elle s’instaure en monde. (...) Les îles ne communiquent pas. Voilà l’enseignement homérique : la diversité impose que chacun conserve sa singularité. Maintenez la distance si vous tenez à la survie du divers !” (Sylvain Tesson, Un été avec Homère, 2018)

On peut énumérer les noms des villes et les noms des îles comme une liste d’ingrédients, de composés chimiques, autant de points disséminés. Cela donne un catalogue baroque et sonore aussi palpitant pour la langue qu’une pincée de périque macéré dans du tabasco : Hyrie, Aulis, Hypothèbes, Cynos, Oponte, Bessa, Scarphé, Pytho, Nobolos, Asplédon, Semois, Coronée, Haliarte, Etéone, Thespie, Ocalée, Médéon, Glisas, Onchestos, Ascalaphe, Ialmène,.... Inclu et perdu dans le chant II de l’Iliade, dans cet interminable catalogue des vaisseaux, le tabac des Ardennes passe presque inaperçu et ne dépare pas.

Le Semois est une île. Qu’on se le dise, le caractère insulaire ne se déduit pas seulement d’une terre émergée des eaux. Cela, c’est une définition géographique, pas une définition mentale. On est une île à cause d’une particularité au milieu d’un environnement vaste, ondulant et parfois hostile. Il y a des îles terrestres : l’Ile-de-France, l’Ile-Bouchard, l'Isle-sur-la-Sorgue. Rien de plus terrestre que ces endroits. Le petit bout de Wallonie est une île pour un tabac unique, avec Corbion comme forteresse. Le statut insulaire ne se déduit pas uniquement de la taille mais aussi de son influence. L’Atlantide comme Ys, les disparues, sont des mythes forts, Pâques est fascinante, Bora-Bora fait rêver. Sur les îles, il y a une faune et une flore endémique qui croît et évolue à l’écart. Sans doute est-ce la même chose pour le fumeur de Semois, lequel communique à d’autres fumeurs de Semois ses découvertes et émerveillements d’insulaire, comme un compatriote à un autre en s'apercevant qu’il parle la même langue : “On est pays, dis-moi ?”. C’est comme ça, le tabac est une langue qui a ses particularités et ses patois et même à l’autre bout du monde, on sait qui est “pays” et qui ne l’est pas. Dis-moi ce que tu fumes et je te dirai qui tu es. Et comme Semois est une île, il prend une majuscule en sa qualité de nom propre et d’insulaire. Si Cordemoy, Brumeuse, Dix-Cors, etc, sont ses prénoms, le nom de famille est Semois et cela suffit bien comme ça pour trouver des liens de parenté à tous les membres du clan de la rivière du même nom.

Oui, il y a des archipels dans le tabac et, dans sa franchise, le Semois en est un. Sans doute son unicité est-elle liée au fait qu’il n’est presque pas mélangé à d’autres tabacs, comme nous le trouvons le plus souvent dans nos boîtes. Sa génétique de variété de Burley, mâtinée peut-être avec du Paraguay, ressort sans doute plus fortement dans son goût et son odeur, sans doute plus franchement que sur les autres mélanges où, par définition, tout est mélangé. De même qu’un Elie Faure faisait découvrir l’archipel des nations dans les années vingt avec une acuité poétique, il reste à découvrir l’archipel des tabacs et c’est sur celui de Semois que j’aborde, une fois de plus. Vous me direz qu’il y a des archipels tabagiques partout et que les aborder est comme parcourir la carte du Tendre : l’archipel du Semois, la plaine du Burley, le méandre des orientaux, etc… Et chacun des territoires peut avoir son souverain issu non pas du lignage sanguin mais du travail, de l’écoute du fumeur, des pairs. Le souverain est hissé sur le pavois plus qu’élu, comme nos anciens rois de France qui tenaient de l’élection, et comme le reste aujourd’hui les souverains pontifes. Le pontifex est celui qui fait le pont, le lien entre le royaume divin et celui des hommes, celui qui intercède. Un bon blender n’a-t-il pas le rôle d’un pontifex, ce rôle essentiel qui est de porter le fumeur aux nues et à la béatitude ?

J’ai donc échoué à nouveau sur le rivage de l’archipel Semois le 30 décembre 2018. Je note la date comme Robinson trace des petits traits sur son poteau. Bien sûr, le Semois est une vieille histoire entre des premiers essais, jeune fumeur, plus ou surtout moins fructueux avec ce tabac farouche qui ne se laisse apprivoiser que s’il a confiance envers le fumeur de pipe qui lui fait face, des retourne-z-y réguliers et un voyage commando à trois au mois de mai dernier entre fumeurs de pipe. Le Semois, je l’ai testé aussi dans sa forme cigarière dont le goût a peu de chose à voir avec le ready-rubbed. Qu’est-ce qui m’a fait échouer à nouveau sur le rivage du Semois comme Ulysse chez les Phéaciens ? La gendarmerie. Explication : j’étais au théâtre Le Palace, à Paris. J’attendais le début de la pièce “Le gros diamant du prince Ludwig” sagement, au milieu des froufroutements des vêtements et blablateries de mes voisins. Allez savoir en ces instants comment se noue l’insatiable envie de respirer du tabac et c’est à ce moment que je me suis rappelé avoir sur moi de quoi assouvir mon crime. Du Semois de contrebande mis dans une trousse en blouson de gendarme au sein d’un lieu où il est interdit de fumer, il n’en fallait pas plus pour sombrer dans le péché. Je prends ma petite blague de maréchaussée, la dézippe et plonge mes gros naseaux dedans. C’est fou l’effet que ça fait. Le tabac est un peu sec mais d’emblée, il me rend une saveur qui me transporte immédiatement dans un séchoir à tabac et dans la cave où Vincent Manil fait sécher son tabac dans l’antique four qui tourne depuis la guerre de 14. Derrière l’odeur massive et entêtante, je tente de retrouver quelques images connues : du bois de sental, des noisettes, des chaussures en cuir après une randonnée sur un sol mouillé, une fragrance de pain complet grillé, un peu de sucre brun. Le Semois, c’est d’abord une odeur inimitable. Une odeur de “caporal belge parfumé à la verveine” diront certains un soir de rhume alors que les ambiances de caserne leur manque, mais bon ! Nous sommes tous handicapés pour trouver les mots des odeurs et ce sont sans doute les parfumeurs et les oenologues les mieux armés. Il n’empêche que pour ce tabac-ci, les fumeurs de pipe ont une imagination débordante pour dire leurs éloges. C’est une surenchère dans le laudatif. Si je regroupe les différentes impressions des uns et des autres, je note des saveurs de pain d’épices, cannelle (spéculoos), effluves de biscuits, terre fraîche, sous-bois humide après une pluie d'orage avec humus et feuilles mortes, accents de cuir, étable où les vaches sont encore là, clapiers de la ferme et crottes de lapin, toast frais légèrement beurré, foin fermenté, herbes sèches, baiser volé, biscuit sec avec un poil de verdure qui ramène un peu d'acidité, gâteau au yaourt version tabagique.

Le Semois est un tabac étonnant et très contrasté, ce qui fait son charme. A l’odeur, c’est une pure merveille que chacun peut relever. A l’allumage, il est vite fort et son goût puissant saisit tout de suite le fumeur qui est en contact direct avec la plante, avec la rudesse de l’herbe sans compromis. Pourtant, son côté franc et entier est en même temps empreint d’une grande douceur, d’onctuosité, de tendresse pour vos papilles et muqueuses. Il développe en bouche une saveur unique et s’enrichit à chaque bouffée d’une complexité enchanteresse. La force augmente à mesure que la pipe se consume et développe un pouvoir imaginaire qui multiplie les métaphores : une balade à cheval en forêt après une pluie d’automne ; une boutique de thé où les herbes sont enfermées dans de grands sacs de jute et où un vieil employé cérémonieux vous interroge sur vos préférences de thé noir ; une rêverie au coin de la cheminée où la lecture de l’Iliade avec ses combats incessants vous font mesurer avec bonheur votre manque lâche d'héroïsme et votre petit confort bourgeois ; un grenier sous charpente, immense où sont éparpillées des malles remplies de souvenirs et que vient éclairer des rais de lumière qui déploient leurs irisations dans la poussière des livres et l’envol des insectes.

Fumer du Semois, c’est faire une partie de campagne, au bord d’un étang, à pêcher les grenouilles, lorsque le parfum de la ferme voisine vient vous chatouiller les narines et que la basse-cour chantonne en douceur. Voilà bien un tabac qui fait la pêche aux souvenirs. Etant adolescent, j’allais parfois en vacances dans la ferme de ma tante où durant les étés, je ramenais les vaches pour les ramener à l'étable, avec le chien qui se pendait à leur queue pour les faire avancer plus vite dans un chaos de meuglement. Il y avait cet étang où coassaient les grenouilles et dans lequel nous faisions des parties de pêche avec de grandes gaules de bois et des crochets à trois hameçons auxquels étaient accrochés des chiffons rouge vif. Les grenouilles se précipitaient sur ces leurres mortifères et, dans un grand mouvement de hâte, il fallait les ramener sur terre où, dans un geste vif, on leur bondissait dessus pour les décrocher, leur attraper les pattes arrières et d’un geste sec leur fracasser la tête sur un caillou. Ecœurant à souhait lorsque je regarde cela maintenant mais certainement plus propre que la disparition silencieuse de ces charmants batraciens pour cause d’eau polluée et de saloperies déversées dans les mares. Parfois, le geste de la gaule était trop vif et la grenouille, brusquement catapultée se décrochait de l’hameçon et se trouvait propulsée dans les airs où après une courbe gracieuse elle retombait dans les bois où plus personne ne la trouvait. Les grenouilles étaient vives et ne se laissaient pas attraper comme ça. La grenouille sauvage est redoutable à la pêche, ce qui rendait leur cuisson particulièrement goûteuse, un peu comme ce Semois qui garde son goût terrestre. Maintenant, on trouve des lots de cuisse de grenouilles chinoises dans des sacs de surgelés. C’est propret et peu goûteux.

Semois est aussi un tabac mémoriel. C’est l’odeur de mon grand-père maternel et la rugosité de sa joue, parce qu’il roulait son gris dans du Riz La+ et laissait sa cigarette pendre au bout de ses lèvres, sous son nez de travers, sa petite moustache à la Chaplin et son béret. Salutations, Raymond, vieux hobereau d’une petite noblesse vieille de 700 ans, noble mais journalier et braconnier. Le Semois, c’est la lente remontée des ancêtres, ceux qui ont vécu, souffert, espéré, se sont battus pour que je sois là et me passent le flambeau pour que je le transmette à la longue route obscure des générations.

Autant de rêveries, autant de sensations individuelles, renouvelées et pourtant unitaires. Ce tabac est bien un archipel, un ensemble d’individualités qui se réunissent dans un ensemble plus grand.

Pour l’heure, je suis assez loin de la pêche à la grenouille, dans cette salle de réunion où se tient une assemblée de copropriétaires, toujours animée comme un poulailler dans lequel débouche en trombe une portée de jeunes renardeaux. Cela bruisse comme le ressac tempétueux de la mer sur les côtes déchiquetées des Orcades. Comment maintenir son attention devant l’explication terne du fonctionnement merveilleux d’une chaufferie d’immeuble collectif à laquelle on va apporter un soin de calorifugeage - grand bien lui fasse, merci pour elle. Un beau système de chaudière avec tuyaux, foyer, brûleur, combustible, chaleur, température de chauffe… Vous voyez où je veux en venir, bien sûr ! Votre esprit décroche forcément et vous mène vers d’autres tuyaux, foyers, combustible (type biomasse issue de nicotiana !). C’est devenu une déformation de la réalité triste. Face à l’impétrance exigence grisailleuse du monde, je suis comme le héros myope de l'humoriste américain James Thurber : Walter Mitty. Dans sa nouvelle de 1939, “la vie secrète de Walter Mitty”, cet anti-héros à la vie calme, affublé comme moi d’une forte myopie, retire ses lunettes lorsque la réalité l’ennuie et découvre, dans la brume lumineuse qui se crée, tout un monde de formes fantasmagoriques qui lui révèlent l’envers du décor, la magnificence de l’imagination et le monde du merveilleux. J’avais prévenu qu’avec la pipe et le tabac, il y avait matière à être dans une réalité augmentée. Mon corps est là, immobile sur sa chaise inconfortable, corseté dans son costume, sage, sérieux. Qui peut imaginer en me voyant, que mon esprit nage dans le Semois frais qui se trouve à ma droite quelques centimètres plus bas dans ma sacoche. Une téléportation à la Star Trek indispensable à la survie de mon âme face à l’aridité des propos sur le calorifugeage. De ma blague, il se reporte aussi à la soirée de la veille dans une autre forge incandescente de métal, celle du Zénith de Paris où Judas Priest carburait à l’acier alors même que je ne pouvais avoir aucun carburateur de bruyère en action. Musique de métal et non de bruyère !

Je reviens de mon assemblée générale tard dans la nuit. Sem est dans l’écume. Normal, pour un archipel. Le silence est presque total dans cette longue avenue de la seconde ville d’Ile-de-France. C’est un luxe rare de s’entendre marcher et d’entendre crépiter doucement le friselis de Sem dans le fourneau en jetant une lueur rougeâtre. Au carrefour, un groupe de fêtards ondule comme des marins en goguette que le sol ferme fait tanguer par sa stabilité. Ils saluent ma pipe, qui le leur rend. Dans la Tristan, le lendemain, lors d’une pause d’un séminaire, un collègue me voit, déclare que ça sent bon et qu’il aimerait bien se mettre à la pipe. Seigneur ! Un converti par la grâce de Saint-Semois ! Gloire soit rendue à cet archipel archiprêtre archibon, et qu’il soit canonisé “santo subito” tant on pourrait le prendre pour une personne.

Avez-vous noté, lorsque vous pratiquez ce sport qu’est la descente ou la montée de l’esprit d’escalier, ce que d’autres pourraient appeler une sérendipité dirigée, que les choses, les évènements, les lieux, les lectures peuvent s'emboiter les uns dans les autres, dans une sorte de mise en abyme aussi vertigineuse que les boucles d’oreilles de la Vache qui Rit ou de deux miroirs l’un face à l’autre et que l’on est entre les deux. C’est le palais des mirages cher à Grévin où tout se reflète et cherche à prendre un sens que l’on n’aurait pas vu avant. Ainsi, lorsqu’on se met en chasse de la volute ultime, comme le surfeur la vague ultime, tout est prétexte à sa détection et le fumeur de pipe est alors très attentifs aux signaux faibles, à ces indications subtiles qui passent sous la ligne de flottaison de l’attention du commun des mortels. Il en va de même pour tout collectionneur ou passionné, que ce soit les boutons de manchette, les capsules de bière, les montres de luxe et les couteaux. Chacun a sa cabane, son affût, sa technique, son armement. Il arrive que les signaux faibles surgissent par le biais de la littérature de la manière la plus inattendue qui soit. J’ai un faible pour les littératures qui donnent le large, à la fois dans l’espace, le temps et la mise en résonance du monde réel et imaginaire. Dire que j’aime Borges et Alberto Manguel serait un euphémisme tant les deux sont liés par cet amour de la littérature et des volutes spirituelles. Umberto Eco est dans cette dynamique sémiotique avec l'interprétation des signes dans les activités des hommes. Il sont des archipels émergeant du blanc océan de papier et d’encre des livres. Ce sont surtout leurs histoires imbriquées parlant de personnes et de livres qui sont passionnantes. “L’histoire de la lecture” d’Alberto Manguel est à elle seule un roman qui se doit d’être lu pour mesurer le cheminement de notre culture et on y rencontre aussi des histoires de tabac puisqu’un long chapitre traite de la manière dont les lectures publiques étaient réalisées dans les fabriques de cigares de Cuba, contribuant ainsi à l’éducation des ouvriers. J’ai découvert récemment dans un texte combien les volutes de fumées étaient reliées aux nébuleuses et donc, nous donnait la direction de l’univers. Oui Messieurs, ne souriez pas, cette découverte fabuleuse éviterait que les Etats consacrent des sommes par nature astronomiques à la recherche alors même que son but est inscrit dans la subtile mécanique des fluides qui s’échappent de nos bouches. Cette découverte est le fruit de l’imagination de l’écrivain hongrois Miklos Szentkuthy qui, dans “Renaissance noire” (1939), le premier des neuf tomes que contient son “Bréviaire de Saint Orphée”, retrace une vision de la Renaissance en prenant prétexte de s’attacher aux pas de Brunelleschi, le constructeur du fabuleux dôme de Florence. Szentkuthy, je le découvre via feue la revue “Caravanes” dont je possède l’intégrale des huit uniques numéros et que je lis progressivement depuis peu après l’avoir laissée vierge dans ma bibliothèque durant des années. A un moment de son récit, l’auteur hongrois place aux côtés de Brunelleschi un compagnon arabe sous l’influence duquel le futur architecte semble considérer que son art ne serait que la “description de l’ondulation interne de l’étendue”, autrement dit une volute ordonnée ! Laissons la plume à celle, flamboyante et baroque de Szentkuthy :

“Sur le plan philologique (hic salta !), nous recommandons de lire en parallèle le journal de bord florentin, qui dévoile les premières esquisses de l’architecte, le canon juvénile composé par Coppa et les carnets du jeune arabe (mort à Vérone au bel âge de vingt-sept ans, victime, selon la rumeur, de quelque poison brunelleschien) déposés aux archives de Palerme sous la côte Phil. Nat. D. XVI. a-f, feuillets où l’on peut pressentir, à l’état d’ébauche, avec toutefois un minimum d’escroquerie discrète, les modernes théories de l’électron et de l’expansion universelle. Ibn Athln’Othech (connu aussi sous le nom étrangement latinisant de Io Atlantica, souvenir de quelque origine espagnole) livre ainsi sa pensée : “L’espace lui-même ne peut s’étendre, et les nébuleuses doivent être considérées comme autant de bottes de paille flottant dans l’espace sous la poussée du flux cosmique. Ainsi que la fumée de l'opium nous révèle la nature et l’orientation des courants aériens qui traversent une pièce, les nébuleuses nous désignent la direction que choisit l’univers …”. Si l’on en croit le canon juvénile, les premières ébauches de Brunelleschi ne visaient nullement à amonceler des pierres au sein d’un espace, mais s’efforçaient de décrire l’ondulation interne de l’étendue ou, tout simplement, l’espace en son essence.”

Semois n’est pas de l’opium mais peut être addictif tant il est bon et a l’esprit camarade. C’est sans doute ce qui lui est arrivé avec la pipe Jean Lacroix. J’avais prévenu que pour ces errances, les pipes allaient tourner et que le tabac allait les faire aligner autant que Dom Juan les femmes dans son catalogue. Las, non : après avoir fait quelques batifolages badins, Sem s’est arrêté devant cette pipe, comme un pointer devant son gibier et n’a plus voulu rien savoir, ni moi non plus. Il avait trouvé sa Juliette, elle avait trouvé son Roméo. Il y a des jours comme ça où la fatalité de nicotiana appuie sur le bourre-pipe.

Comment te dire adieu ?

Te dire adieu et te voir revenir car Sem est un tabac de l’amitié toujours retrouvé, une Ithaque où l’on revient après des aventures tabagiques où les dieux des additifs et des bricoleurs nous en font voir de drôles. Semois est le havre où l’on se repose et l’on rêve, où les jours s’abolissent en un seul, sorte de point Aleph fondamental qui prédispose à l’éternité. Et sur cet archipel qui rappelle les îles des bienheureux, nous pouvons nous remémorer ce vers de Pindare * qui s’applique aux fumeurs de pipe : “Une suave odeur dans ce lieu se diffuse sans cesse... Ils jettent des parfums dans une flamme pure, Parfums divers, sur les autels divins.”

renard pipe