Font-ils un tabac ? n°117

par Erwin Van Hove

07/06/21

HU Tobacco, Night Owl

Le Night Owl et le Dark Moor (artfontilsuntabac114.htm) lancés ensemble au cours de l’automne 2019 ont la particularité d’avoir été produits à la demande de Pipe Enthusiasts Germany, un groupe de discussion sur Facebook. Tous deux sont faits avec des virginias, du perique et du kentucky. Ce qui les distingue, c’est que pour le Night Owl Hans Wiedemann s’est servi de red virginias pressés, alors qu’il a employé des virginias bruns pour le Dark Moor, et que, contrairement à son frère, le Night Owl contient un quatrième ingrédient, à savoir du burley.

Quand Hans Wiedemann m’a fait parvenir en avant-première ses deux nouvelles créations, il était évident qu’il en était fier. Je vous résume donc comment le blender lui-même perçoit son mélange : des virginias rouges pressés qui se distinguent par leurs saveurs douces, maltées, légèrement caramélisées, s’harmonisent avec du burley tourbé et cacaoté, avec en contrepoint le goût poivré et de fruits secs du perique, la touche finale étant apportée par un soupçon de kentucky. Le résultat est un mélange profond, goûteux et complexe avec un caractère stoïque et contemplatif qui rappelle celui de la chouette nocturne. De là le nom du blend.

Comme Wiedemann m’a conseillé d’encaver quelque temps son tabac, j’ai attendu un an avant de le goûter. Une myriade de divers bruns, des ribbons et des broken flakes fins, des odeurs complexes qui forment un tout invitant : fruits secs, moisi, foin, malt, terre, mélasse, cacao. Le tabac étant souple mais pas trop humide, je peux passer sans tarder au bourrage. Je crois que je vais me régaler.

Il ne me faut pas beaucoup de temps pour me rendre compte qu’effectivement le Night Owl me plaît beaucoup. La structure du blend me ravit : c’est clairement l’un des blends les plus virils de Wiedemann, mais la puissance est encapsulée dans une fumée ronde et crémeuse. Une main de fer dans un gant de velours. On ne peut pas dire que le mélange soit sucré, acide, amer ou épicé. Rien ne dépasse, tout est parfaitement dosé. Et puis, si la fumée est bourrée de goût et correspond aux promesses du nez, ce qui frappe, c’est que loin de s’épanouir individuellement, les saveurs font montre de retenue pour s’intégrer harmonieusement dans un ensemble compact qui ne brille pas par un tempérament extraverti, mais qui, au contraire, est le résultat de la conduite disciplinée et rigoureusement coordonnée des ingrédients. Et ça, c’est à mes yeux le sommet de l’art du blending.

J’avais conclu ma revue du Dark Moor en disant que pour apprécier ce mélange tout sauf voluptueux, il fallait une approche davantage intellectuelle que sensuelle. J’estime que ce jugement vaut également pour le Night Owl. N’y cherchez pas l’opulence d’un VA/perique fruité comme l’Escudo. Grâce à l’apport du burley, il se montre nettement plus strict et austère, mais sans pour autant devenir ascétique. Wiedemann est en plein dans le mille : le Night Owl est en effet stoïque et contemplatif. Et c’est pour le mieux. Chaudement recommandé.

L.J. Peretti and Co, N° 8 Slice

Sur Tobaccoreviews dix-neuf dégustateurs ont consacré une revue au N° 8 Slice. La moyenne des scores qu’ils lui ont décernés, est impressionnante : 3,7. Serait-ce donc un blend exceptionnel ? Je suis curieux.

Le terme slice qui en principe est synonyme de flake, ne me semble pas approprié pour désigner ce que je trouve dans mon ziplock, notamment un amalgame de petites barres friables de 4 sur 2 cm avec une épaisseur de 7 mm et un tas de gros morceaux trop épais pour passer pour des broken flakes. C’est donc plutôt un crumble cake grossièrement coupé. Malgré le fait que le tabac n’a été pressé que très légèrement, il n’est pas facile de le transformer en brins bourrables : si on y va mollo, on se retrouve avec des fragments trop massifs ; si on le malaxe avec énergie, on finit par obtenir de la poudre de tabac.

Le marron domine, mais il est pointillé de fauve et d’aubergine. De la part d’un VA/perique/burley je m’attends à un nez bien marqué et complexe. Il n’en est rien. D’abord l’acidité volatile me saute aux narines et quand cette vague s’est dissipée, il reste une couche de relents vinaigrés que de vagues odeurs de terre, de foin, de pain et de cacao ont du mal à percer. C’est un nez qui n’inspire pas exactement des envolées lyriques. D’ailleurs, quand je lis les revues sur Tobaccoreviews, je note qu’une majorité de dégustateurs passent sous silence le côté olfactif et abordent immédiatement le goût.

L’allumage terminé, je décèle immédiatement l’apport de virginias riches et sucrés et de burleys secs et terreux. Une combinaison agréable. Mais très vite, tout change. D’une part, le perique entre en scène avec une discrète saveur de fruits secs, mais surtout avec une royale dose de poivre. Parallèlement la fumée devient fort acide à tel point qu’elle se met à m’irriter le palais. Ce n’est pas que la fumée me morde la langue, c’est plutôt une sensation en bouche rêche, picotante, voire brûlante qui détourne mon attention des saveurs et qui en plus les écrase et les dénature. En fait, j’ai l’impression de goûter à travers un voile d’acidité poivrée. Et ça me coupe sérieusement l’appétit. Vraiment dommage.

Ça ne s’arrange plus. Le caractère acerbe de la fumée continue jusqu’à la fin à m’attaquer les muqueuses, ce qui fait que j’ai vraiment du mal à fumer une pipe d’un trait. Il me faut des pauses pour reposer mon pauvre palais.

Une pipe qui pourtant n’a jamais ce problème, s’est mise à glouglouter, ce qui m’a obligé à sécher le passage d’air au moyen d’une chenillette. Quand je l’ai retirée, elle n’était pas uniquement fort humide, mais en plus très sale. J’ai répété l’opération dans les pipes qui ne glougloutaient pas et chaque fois le résultat était identique : la chenillette sortait toute noire. Il est donc clair que la combustion est tout sauf idéale en dépit du fait qu’il ne faut pas de rallumages répétés.

Tous les tests se sont terminés de la même façon : il me restait en bouche un arrière-goût désagréable et piquant, alors que ma langue et mon palais étaient tout râpeux.

Treize dégustateurs sur Tobaccoreviews accordent au N° 8 Slice quatre étoiles, le score maximal. Les six autres trois étoiles. Bref, le VA/perique/burley de Peretti fait l’unanimité. Même si une demi-douzaine de ceux qui ont attribué quatre étoiles, totalisent moins de cinq revues et semblent donc sérieusement manquer d’expérience, les dix-neuf dégustateurs ne peuvent pas tous se tromper. Je ne m’explique donc pas pourquoi à moi ce crumble cake paraît si désagréable parce qu’agressif et complètement déséquilibré. Cela étant, je n’ose pas formuler de conclusion. Il faudra vous faire votre propre opinion. En tout cas, si vous l’essayez, j’aimerais bien connaître votre avis.

Dunhill, My Mixture 221B Baker St.

J’ai bêtement oublié de noter la date d’achat sur la boîte, ce qui fait que je ne connais pas l’âge exact du tabac. Heureusement que cette information, on peut la trouver facilement sur l’étiquette apposée sur le fond de chaque boîte de Dunhill produite par le Scandinavian Tobacco Group. Il suffit de savoir lire le code de production qui commence toujours par les lettres CB. Sur ma boîte je vois CB026H81. Les deux premiers chiffres n’ont aucune importance puisqu’elles identifient le numéro de la machine qui a servi à produire le tabac. Et c’est pareil pour le dernier chiffre qui correspond au numéro de l’équipe qui s’est occupée de votre tabac. La partie du code qui de façon très précise indique la date de production, c’est ce qui reste, en l’occurrence 6H8. Le premier chiffre révèle l’année, à compter à partir de 2010, la lettre désigne le mois, de A pour janvier à L pour décembre, et le dernier chiffre correspond au jour du mois. Ma boîte a donc été produite le 8 août 2016.

Quand STG a repris la production des tabacs Dunhill, l’entreprise a élargi le catalogue. Mais plutôt que de proposer de nouvelles créations, elle a préféré recréer les recettes du Ye Olde Signe, un mélange qui n’était plus produit depuis les années 80, et de deux blends jusque-là disponibles exclusivement dans le magasin londonien de Dunhill : le Baby’s Bottom et le 221B Baker St.

Une fois de plus, on ne peut pas se fier au web pour connaître avec certitude la composition du mélange puisque les diverses sources se contredisent ferme. A l’époque, l’info sur le site web de Kohlhase & Kopp, le distributeur allemand des tabacs Dunhill, correspondait au descriptif imprimé sur les couvercles des boîtes : le 221B Baker St. serait un mélange de virginia et de tabacs dark fired et sun cured. Comprenez un mélange de virginia, de kentucky et de burley. Aux dires de K&K, le mélange se distinguerait d’ailleurs par ses saveurs grillées et toastées, ce qui revient à dire que le goût du blend serait défini par le kentucky. Or, de son côté Tobaccoreviews ne mentionne que deux ingrédients, à savoir du virginia et du burley. En plus, le site spécifie que le tabac a été aromatisé dans la même veine que le Royal Yacht ou le Three Year Matured Virginia, mais plus subtilement.

C’est fou. Un mélange naturel dominé par le kentucky et un mélange saucé sans kentucky, ce n’est pas exactement une différence de nuance. C’est l’un ou l’autre. Il faudra que je fasse ma propre idée.

Surprise ! Dès que j’ouvre la boîte, j’ai la réponse : c’est les deux ! Parce que je sens à la fois les odeurs empyreumatiques du kentucky et une subtile top note fruitée. Et à l’instant où cette combinaison pénètre mes narines, je sais que ce ne sera pas un tabac pour moi. Parce que, franchement, cette combinaison me paraît tirée par les cheveux. Quelle idée saugrenue que de vouloir marier les saveurs si typiques du kentucky avec une sauce aux fruits.

Visuellement, c’est du Dunhill classique, c’est-à-dire des ribbons coupés assez finement. Le tabac est plutôt sombre : pas de blond ni de fauve, mais divers bruns et de l’aubergine. Les brins sont passablement humides et bénéficient d’une heure de séchage.

Les premières saveurs correspondent exactement au nez : je goûte le tabac dark fired et en même temps quelque chose qui hésite entre le fruité et le liquoreux. Et c’était à prévoir : comme je ne suis pas du genre à mettre de la confiture sur du jambon fumé, pour moi, c’est tout sauf une combinaison harmonieuse. Et c’est vraiment dommage parce que j’ai la nette impression que sans sauçage le 221B Baker St. serait un mélange qui me plairait bien avec un équilibre réussi entre des virginias suffisamment matures et doux pour contrebalancer le burley austère et le kentucky acidulé.

En continuant le fumage, je me rends compte que le goût du sauçage ne se superpose plus à celui du kentucky, mais que ces saveurs incompatibles se sont mises à se mélanger. Dès lors, mon palais se sent pollué par une couche de saveurs bâtardes. Et même quand je dépose ma pipe pour prendre une pause, cet arrière-goût impur continue longuement à m’irriter. Beurk.

Pour reprendre la pipe et la rallumer, il me faut du courage. Je remarque par ailleurs que la DGT n’arrange pas les choses. Par pur sens du devoir j’ai fumé une demi-douzaine de pipes. Je me suis servi de diverses bruyères et d’une corn cob, j’ai essayé une reverse calabash, j’ai testé le tabac dans des pipes dédiées au virginia et dans d’autres réservées au burley. Le résultat était toujours identique : un fumage qui, loin de m’apporter le moindre plaisir, finissait toujours par me dégoûter.

Une bonne semaine après les tests successifs, il s’avère que la top note a pour ainsi dire disparu. L’odeur du kentucky s’exprime maintenant avec plus d’assurance. Et c’est pareil au fumage : désormais l’aromatisation est à peine perceptible, ce qui fait que la saveur grillée du kentucky devient plus nette. Or, tout amateur de tabac dark fired que je suis, je n’apprécie que moyennement ce que je goûte. Même si elle est moins repoussante qu’avant, la fumée véhicule toujours une saveur que je qualifierais d’impure. Elle tapisse mon palais d’un voile dont le goût me rappelle la cigarette.

Sur Tobaccoreviews, plusieurs dégustateurs ont couronné le 221B Baker St. de quatre étoiles. Mais il y en a aussi quelques-uns pour qui le mélange ne vaut que le score minimal d’une seule étoile. C’est donc un tabac qui divise. Personnellement, je peux à la limite comprendre que cet étrange tabac ne rebute pas certains fumeurs. N’empêche que je me demande qui peut réellement l’apprécier. Pour les amateurs de vrais aros, il est trop marqué par le kentucky, alors que les inconditionnels de kentucky dans mon genre doivent considérer le sauçage comme un sacrilège.

Depuis que Peterson a repris le catalogue de Dunhill, le 221B Baker St. n’est plus produit. Alléluia. Mais si ma revue vous a rendu curieux, vous pouvez toujours vous tourner vers la version de Kohlhase & Kopp, à savoir le Barking Road lancé sous la bannière de Robert McConnell.