Font-ils un tabac ? n°126

par Erwin Van Hove

21/02/22

J.B. Vinche, Black Pearl

Grandiloquents, les frères Koopmans : qualité supérieure….parfait équilibre….goût unique…. mixture internationalement appréciée. On verra ça.

Le Black Pearl est composé de divers virginias qui sont saucés avant d’être mis en boîte. Je sens vaguement du pruneau et de la figue sèche, de la terre qui chauffe, un petit côté engrais chimique. Malgré le sauçage, je n’ai pas l’impression de sentir un tabac aromatisé. Le ribbon cut exhibe divers bruns sans la moindre trace de noir. Le nom du mélange peut donc induire en erreur.

Les brins courts, fins et pas trop humides s’allument sans problème. M’arrive en bouche une fumée qui d’emblée me déçoit. Les virginias ne sont ni opulents, ni veloutés. Il leur manque du sucre, du fruit, des épices et fondamentalement de la définition et du caractère. Ils sont légers, peu expressifs et le peu de goût qu’ils ont, est dénaturé par une saveur qui hésite entre le médicamenteux et l’engrais chimique. A partir de la deuxième moitié du bol, le goût impur s’estompe et les virginias arrivent à développer davantage leurs saveurs. Je découvre alors quelques épices et des acides civilisés. N’empêche que ça reste un virginia blend sans grand intérêt.

Certes, ce n’est pas le genre de tabac qui m’horripile, mais c’est le genre de mélange qui loin de me procurer du plaisir, me barbe, me frustre et me désappointe. Aussi Le Black Pearl me rend-il péniblement conscient du fait que trois quarts d’heure de fumage peuvent durer une éternité.

Parfaitement médiocre, cette mixture internationalement appréciée qui n’est disponible qu’au royaume des Belges.

Fribourg & Treyer, Blackjack

Des tabacs qui ont dû changer de nom afin de se mettre en règle avec la Directive 2014/40/UE des instances européennes, il y en a des dizaines. Mais saviez-vous qu’il existe un mélange qui a été rebaptisé pour éviter de heurter des sensibilités politiquement correctes ? C’est le cas du Negrohead. Heureusement, Planta a remplacé ce nom avant que les éternellement indignées hordes woke ne puissent crier au scandale. Pourtant, historiquement parlant, le vocable negrohead faisait partie du vocabulaire anglais standard et désignait un tabac puissant et fort foncé. Charles Dickens par exemple s’en est servi à plusieurs reprises dans son œuvre. Je vous rappelle par ailleurs qu’en français, le terme tête de nègre employé comme adjectif continue à désigner un marron très foncé, presque noir. Par contre, de nos jours il n’est plus bon ton d’appeler tête de nègre le biscuit recouvert de guimauve et enrobé de chocolat.

En remplaçant Negrohead par Blackjack, Planta a tenu à conserver la référence à la couleur très foncée. C’est pourquoi je suis fort étonné de découvrir un mélange aux brins fauves et bruns sans aucune trace de noir. Il ne contient d’ailleurs pas un brin de latakia ni de black cavendish. C’est au contraire un VA pur fait exclusivement avec du virginia rouge qui est d’abord pressé en plug, puis transformé en une coupe qui hésite entre le broken flake et le ready rubbed.

Je dois vous avouer avoir oublié de noter mes premières impressions olfactives et avoir perdu de vue la boîte pendant une quinzaine. N’empêche que je me souviens d’arômes peu complexes mais franchement agréables : pain d’épices, pain à la grecque, cannelle, poivre. Quand je rouvre enfin la boîte, il en émane une odeur transformée sous l’effet de l’oxygénation. Nettement moins flatteuse, plus discrète, plus terreuse aussi, elle sent tout bêtement le tabac. C’est une bonne nouvelle qui me fait comprendre que Planta, d’habitude pas avare d’ajouts artificiels, ici a fait preuve de retenue.

Le tabac passablement sec se bourre et s’allume facilement. Je découvre alors une fumée qui manque de velouté, mais qui au niveau gustatif tient la route. Pas de fausses notes dans le rapport sucré/acide/amer, de discrètes saveurs de biscuit juste ce qu’il faut de sucré, quelques épices, notamment de la cannelle et du poivre, qui, plutôt que de piquer, tapissent la bouche d’une chaleur réconfortante. En cours de route, il n’y a plus rien à signaler si ce n’est que tout à la fin les saveurs se concentrent et s’approfondissent. Bref, ça se confirme : si le Blackjack ne brille pas par sa complexité et ne fait clairement pas partie de l’Olympe des virginias purs, il arrive à nous satisfaire avec son fumage sans encombres, son caractère qui n’a rien d’agressif, sa puissance moyenne et son goût simple mais plaisant.

Je ne vous ai jamais caché mon antipathie envers les produits de Planta. A part l’excellente Presbyterian Mixture, je n’ai jamais fumé un mélange Planta qui arrivait à me convaincre. Avec le Blackjack le producteur allemand a tout de même réussi à nous livrer un virginia blend tout à fait respectable. Certes, on est loin du sublime, mais c’est le genre de blend qui ne devrait déplaire à personne.

HU-Tobacco, Pipe-dreams Soraya

Au premier coup d’œil, c’est décidé : le Soraya entre fièrement dans mon top 5 personnel. De boîtes au graphisme hideux. Ça, c’est du moche de chez moche. Et sans second degré. Non, c’est du mauvais goût à l’état pur. N’empêche que le blog Tabak-Pfeife.com vante sans réserve la beauté de l’étiquette conçue et dessinée par le pipier allemand Christian Heweling dont le sens esthétique en matière de pipes équivaut parfaitement à ses dons de graphiste. Passons.

Trois variétés de tabacs d’Orient en provenance de Turquie, de Grèce et de Bulgarie, du ready rubbed virginia, du burley et une pincée de perique et de black cavendish. Ça fait beaucoup. Voyons ce qui sort de cette marmite d’ingrédients.

Je découvre des broken flakes éparpillés dans un mélange de brins courts en coupe fine. Je vois du blond, du fauve, du brun et du noir, mais ce sont les tons clairs qui dominent. Les arômes sont complexes, agréables et orientaux : figues sèches, encens, bois, ghee, souk. Un ensemble harmonieux et subtil, sans agressivité aucune.

Souple mais pas humide, le tabac s’allume facilement. D’emblée ça se confirme : le Soraya est un authentique mélange oriental puisque ce sont les herbes turques, grecques et bulgares qui mènent le jeu. C’est dire que ce que je goûte est en même temps suave et tonique, caressant et épicé. Ceci dit, après les premières bouffées je remarque également des saveurs sous-jacentes qui, plutôt que de soutenir et complémenter celles des orientaux, semblent les dénaturer. C’est fort dommage parce que le résultat est un manque de pureté et de définition. En outre la structure elle aussi manque d’équilibre : pour mon palais l’acidité et l’amertume sont trop marquées.

Dans sa présentation du Soraya Hans Wiedemann prétend que sa création brille par son caractère nuancé et par son évolutivité. Je vous avoue que ma perception est différente. Là où le blender voit des nuances, moi je vois de la confusion et la seule évolution que j’éprouve, c’est que très rapidement, les orientaux se perdent dans un bric-à-brac de saveurs qui manquent d’harmonie et d’homogénéité.

J’ai lu dans le blog susmentionné que le Soraya comble une lacune sur le marché allemand. C’est oublier l’Oriental de Robert McConnell et la Presbyterian Mixture de Planta qui me semblent autrement plus réussis. Dès ses débuts, j’ai promu les tabacs HU. Sans conteste, Hans Wiedemann nous propose une large gamme de blends toujours bien faits et souvent excellents. Pour moi, le Soraya est l’exception qui confirme la règle.