Font-ils un tabac ? n°37

par Erwin Van Hove

20/10/14

Tabacos Wilder Finamore Ltda, Irlandez

Il y a de ces moments où je suis content d’avoir une pipe en terre de Gérard Prungnaud, tout inconfortable qu’elle soit en bouche. Elle me livre d’excellents services à chaque fois que je teste des tabacs qui risquent de polluer mes chères bruyères. Or, après avoir ouvert la pochette du tabaco para cachimbo en provenance du Brésil qu’un membre de FdP m’a gracieusement offert, d’emblée je sais deux choses : là j’aurai besoin de ma Prungnaud et le sadique qui m’a demandé de fumer ça, tout en connaissant mes goûts personnels, a dû bien se marrer. Et Dieu sait qu’il a un sens de l’humour particulier !

Première impression : les Brésiliens, du moins ceux qui ont produit ce mélange, sont soit des farceurs, soit des escrocs, soit des ignares. Irlandez qu’il s’appelle, ce mélange. Il est vrai qu’il n’existe pas de définition claire et nette de ce qu’est un Irish blend, mais ce qui est sûr, c’est qu’un mélange irlandais ne dégage pas d’odeurs exotiques d’alcools brésiliens comme le batida de coco et le cachaça ! Or, dès que la pochette est descellée, l’alcool au parfum de noix de coco et de sucre de canne vous saute au nez. Irlandais, mon œil ! Mais voilà que cet œil tombe sur deux mots en petits caractères inscrits sous le nom du tabac : Tipo Inglês. Type anglais !! Là, ça devient vraiment ridicule. C’est du n’importe quoi.

Sur la pochette on ne trouve aucune indication sur les tabacs employés, mais sur Tobaccoreviews, je lis qu’il s’agit de black cavendish, de cavendish et de virginia. J’ai du mal à le croire. Je ne vois strictement aucun brin noir, le mélange étant assez uniformément brun. En plus, les brins courts et assez carrés me rappellent davantage le burley en cube cut que le virginia ou le cavendish. Au toucher, le tabac est assez humide, mais sans tomber dans l’excès. Il s’avère d’ailleurs qu’il peut se fumer tel quel, sans le faire sécher.

Revenons-en un instant au nez. Oui, il est alcoolique, oui, c’est un nez typique d’aro, mais je dois admettre qu’il est équilibré et, ma foi, assez agréable. Et c’est d’ailleurs pareil pour les premières bouffées : la noix de coco, le sucre de canne, des notes vanillées et de pralines à liqueur forment un tout cohérent, plus subtil et complexe que le nez. En plus, la fumée est assez crémeuse et sans aucune agressivité. Les premières minutes de fumage ne me déplaisent donc pas, même si ce genre de tabac n’est absolument pas ma tasse de thé. Ensuite, et c’est le défaut fatal de la quasi-totalité des aros, commence à se développer une amertume peu agréable pendant que les saveurs d’origine perdent en intensité. Il faut cependant admettre que l’Irlandez ne devient jamais carrément déplaisant et que s’il se met à picoter, il ne mord pas. Seulement voilà, à chaque fumage, après une dizaine de minutes, je me sentais rassasié et je perdais intérêt.

Dans l’univers des aros, on trouve nettement pire. Dans son genre, l’Irlandez tient donc la route. Reste à savoir pourquoi le producteur a si mal baptisé son tabac et pourquoi il induit le consommateur en erreur en appelant cet aro typique un mélange anglais. Des pratiques pareilles sont à coup sûr stupides, pour ne pas dire malhonnêtes.

McClelland, Syrian Full Balkan

Dans le marketing du tabac à pipe, certains mots font vendre. Syrian par exemple. C’est pourquoi pas mal de boîtes de tabac se targuent de contenir du latakia syrien, cette denrée si rare recherchée par le connaisseur, alors qu’il n’en est strictement rien. Autre exemple : dans le pays du big is beautiful, le consommateur veut être assuré que son tabac est viril et plein de goût. De là toutes ces pochettes et boîtes de tabac qui affichent des mentions du genre full bodied ou full aroma. Et quel terme garantit mieux d’attirer tout amateur de latakia et d’autres herbes d’Orient que le mythique vocable balkan ? Ce n’est donc pas un hasard si Tobaccoreviews répertorie pas moins de 63 mélanges dont le nom contient ce mot.

Chez McClelland, un malin a dû se dire que s’ils lançaient un mélange baptisé Syrian Full Balkan, à coup sûr ils casseraient la baraque. Un coup de génie ! Pourtant, une décennie après la sortie du Syrian Full Balkan et de son frère le Syrian Super Balkan, il faut se rendre à l’évidence : le marketing n’a pas fonctionné. Les deux mélanges n’ont jamais atteint la notoriété dont jouissent pas mal d’autres tabacs de McClelland et, en outre, ils ont carrément déçu la clientèle. Pour preuve les tristounettes deux étoiles sur quatre attribuées sur Tobaccoreviews.

Est-ce dire que c’est un mélange vraiment médiocre ? Je ne le crois pas. Si le Syrian Full Balkan a déçu tant de fumeurs, ce n’est pas à cause d’un manque de qualité intrinsèque, mais parce que le blend ne répond absolument pas aux attentes créées par son nom. Est-ce un full balkan ? Du tout. Ma boîte âgée de 9 ans contient un tabac léger, parfois même éthéré, et plutôt introverti. Rien à voir avec un balkan bourré de goût et qui en jette. Est-ce un balkan ? Même pas. Loin de jouer le premier violon, les herbes d’orient jouent à cache cache entre le latakia et les virginias. Est-ce alors un mélange qui rend hommage au latakia syrien ? Oui et non. Il est incontestable que le Syrian Full Balkan contient de l’authentique shekk-el-bint qui provient du même stock que celui qui a donné naissance au Bohemian Scandal, le chef-d’œuvre absolu de Greg Pease. Toutefois, bien que le connaisseur reconnaisse immédiatement ses saveurs déroutantes, ici le shekk-el-bint ne règne pas en maître.

Certes, parmi les brins en grosse coupe dominés par l’acajou, on voit pas mal de noir, mais quand on hume le tabac, on sent davantage le typique virginia de McClelland que le latakia syrien. Et c’est pareil une fois le tabac allumé : des virginias sombres, boisés et sucrés dominent pendant que le shekk-el-bint apporte à petite dose ses caractéristiques saveurs d’encens. Même si par flashs ces saveurs se font plus présentes, ce qui dans ces instants-là rend le fumage immédiatement plus complexe et intéressant, l’amateur pur et dur de latakia syrien reste quelque peu sur sa faim. D’accord, après un allumage assez difficile, le mélange se consume sans problèmes et sans irriter les muqueuses et il est vrai que les virginias sont à la hauteur de la réputation de McClelland, mais à aucun moment le timide mélange n’arrive à éblouir. Or, l’éblouissement, c’est justement ce qu’on est en droit d’attendre du mythique latakia syrien sur lequel en 2004 Cornell & Diehl, Greg Pease et McClelland avaient pu mettre la main.

Encore une fois, ce n’est pas un mauvais tabac, loin de là. Mais quand McClelland combine ses virginias et ses herbes d’orient qui tous deux ont fait la renommée de la maison, avec le divin shekk-el-bint, on attend un résultat autrement plus enthousiasmant.

Oui, mais. Après avoir dégusté le Syrian Full Balkan dans une demi-douzaine de pipes dédiées aux mélanges anglais et balkan et après avoir terminé la rédaction de ce petit texte, voilà que je me souviens disposer de quelques pipes élevées exclusivement au shekk-el-bint. Je fais donc deux tests supplémentaires dans une Paul Bonacquisti et une Jack Howell. Et là, soudain, tout change. Je découvre un mélange goûteux et harmonieux, assoupli et fondu par le temps dans lequel le latakia syrien se met à chanter de sa voix envoûtante de sirène langoureuse. Quelle transformation ! Ca, c’est du grand tabac ! En tout cas, cette spectaculaire métamorphose prouve une fois de plus à quel point le choix de la pipe exerce une influence directe et déterminante sur les saveurs perçues. Et dire que je continue à lire dans certains forums qu’il n’est absolument pas nécessaire de réserver de pipes à des tabacs précis puisque dans une bonne pipe, tout est bon. Quelqu’un qui préconise ce genre d’ineptie, a par définition un palais sous-développé. Je persiste et signe.

Robert Lewis, Orcilla Mixture

Il y a deux siècles, la civette de Robert Lewis était la plus importante du Royaume-Uni. Plus anglais que ça, on meurt. Et pourtant voilà que les mélanges Robert Lewis contemporains sont devenus bêtement allemands. Encore Kohlhase & Kopp, toujours eux. Du moins, c’est ce qu’on lit un peu partout. Seulement voilà, sur le site web de la maison teutonne on ne trouve pas la moindre trace de la marque Robert Lewis. Allez savoir.

Vous voulez savoir de quels tabacs est composée l’Orcilla Mixture ? Allez savoir. Je vous cite quelques sources :

Bref, c’est un oriental blend pur et dur. Ou plutôt un oriental/virginia sans latakia. Ou encore un oriental/virginia avec du latakia et du black cavendish. Pour ne pas dire un oriental/virginia sans latakia mais avec du perique. Voilà, ça a le mérite d’être clair.

En ouvrant la boîte, je constate que le tabac en coupe fine colle contre la pastille en carton. D’ailleurs le carton est assez humide. Je n’aime pas ça. Ici et là on voit des brins noirs dans un océan de blond, de fauve et de brun. L’odeur est assez discrète. En humant bien, on sent des herbes orientales et, me semble-t-il, une toute petite touche de latakia. Il y a du cuir, du sous-bois humide, du moisi, un feu de camp lointain. Pas mauvais, mais pas non plus exaltant. Un peu pâle quand même.

Je sais dès les premières bouffées que ce n’est pas un tabac pour moi. C’est le genre de mélange qui prend la légèreté à la limite de l’insipide pour de la subtilité. Il est vrai que la mixture tente de mettre en exergue les herbes orientales, mais elles sont trop fades pour capter l’intérêt. On est loin du génie oriental de l’ancien Durbar ! Ce n’est pas tout ce qui me gêne. Les virginias sont tout sauf opulents et tendent à irriter les muqueuses. Il y a d’ailleurs une acidité désagréable qui se développe dès le début et qui cause une sensation en bouche franchement déplaisante. La structure est décevante pour ne pas dire inexistante : il n’y a que le registre aigu. Pour le reste, c’est le vide. Il va de soi que dans ces conditions, ce n’est pas exactement un plaisir que de finir le bol, même si je ne peux pas nier qu’au cours du fumage, il y a une certaine évolution.

Voilà donc une belle déception. Je ne comprends pas comment une maison qui dispose quand même de suffisamment d’ingrédients de qualité, peut sortir un mélange si déséquilibré et si acerbe. Par ailleurs, un oriental blend réussi est une orgie de complexes saveurs exotiques. L’Orcilla Mixture avec son caractère fadasse et morne devrait rougir de honte.