Font-ils un tabac ? n°38

par Erwin Van Hove

18/11/14

Dunhill, Nightcap

Il y a 20 ans, j’étais un fan pur et dur des mélanges Dunhill. A cette époque, le London Mixture et My Mixture 965 étaient d’ailleurs mes favoris, toutes marques confondues. Le Nightcap, je le fumais plus rarement et j’ai même fini par l’abandonner, ce qui fait que je n’en ai plus fumé depuis plus de dix ans. Tel que je me le rappelle, avec sa grosse carrure de latakia/perique, il était moins nuancé que les deux autres.

Qu’en est-il aujourd’hui, après une bonne décennie d’encavement ? La boîte de l’époque Murray’s que je viens d’ouvrir, a-t-elle résisté à l’épreuve du temps ? Le Nightcap a-t-il gagné en complexité ? Voyons ça.

Surprise : la rondelle en carton qui couvre le tabac, est humide alors que les brins dans la boîte ne le sont pas. Il y a du fauve, mais ce sont le brun foncé et l’anthracite qui dominent. Le nez n’est plus celui d’une bombe à latakia. Il est assez discret et harmonieux. Le mélange s’exprime sur le cuir et le sous-bois, avec un évident accent vineux. Dans le fond je décèle des relents de tabacs d’Orient et une petite touche fruitée. Ceci dit, plutôt que des ingrédients individuels, on sent un tout fondu.

Dès les premières bouffées, le palais confirme les impressions du nez : voilà un mélange assagi et parachevé par le temps. Le Nightcap a vieilli avec grâce et a fini par trouver un équilibre parfait entre le sucré, l’amer, l’acide et le salé. Même s’il a conservé sa force et son caractère bien trempé, il a perdu la fougue de la jeunesse. Le virginia est suave, le perique, presqu’imperceptible, soutient le côté fruité du virginia, les orientaux apportent une touche de vivacité et par moments des saveurs à la fois indescriptibles et fascinantes. Quant au caractère empyreumatique du latakia, il rappelle davantage le vin boisé, élevé dans des fûts brûlés, que le feu de camp. Ce n’est plus un tabac qui vise à impressionner. C’est désormais un tabac qui capte l’attention par ses nuances et son caractère évolutif, et qui en toute tranquillité comble le fumeur.

Une fois de plus la preuve est livrée : un tabac naturel bien fait non seulement résiste à l’épreuve du temps, mais gagne nettement en harmonie et en complexité.

HU-Tobacco, Edward G.

Avant de les commercialiser, Hans Wiedemann m’avait fait goûter ses deux dernières créations de l’époque. L’une, c’était le Director’s Cut qui d’emblée m’avait enthousiasmé au plus haut point. L’autre, c’était l’Edward G. qui, malgré ses airs de famille avec le Director’s Cut, m’avait nettement moins impressionné. Tel que je me le rappelle, il était bon sans plus. Voyons ce que j’en pense aujourd’hui.

Et bien, il s’avère que je ne sais pas quoi en penser. Que vous dire ? Je n’ai jamais fumé un tabac aussi sensible au choix de la pipe. Pourtant, quoiqu’il contienne un peu de kentucky, ce ready rubbed flake est fondamentalement un VA/perique que j’ai donc testé exclusivement dans des pipes dédiées à ce genre de composition. Et voilà qu’après deux douzaines de fumages dans autant de pipes différentes, force m’est de constater que les résultats vont du franchement bon au vraiment décevant. Je n’y pige que dalle.

Au premier regard on se rend compte que le mélange est composé de divers virginias. On décèle également les brins de perique et, surprise, quelques petits curlies. Les arômes sont classiques et plutôt discrets : des pommes séchées, une touche de fermentation, une note terreuse aussi. Le tout dégage une impression de douceur bon enfant.

Je ne m’attends donc absolument pas à ce qui se passe lors du fumage dans toute une série de pipes : d’emblée une acidité caustique attaque ma langue et mes muqueuses et bien que mon palais détecte la douceur sous-jacente, cette aigreur domine tellement que j’ai du mal à finir le bol. Pour moi, il y a donc un déséquilibre fondamental.

Dans les pipes qui s’accordent avec l’Edward G, je redécouvre le tabac qui me rappelait le Director’s Cut, mais sans en atteindre le génie. Dans ces pipes-là, le tabac reste passablement caustique comme peut l’être dans sa jeunesse le Three Nuns, mais les virginias arrivent à dégager suffisamment de sucre pour restaurer l’équilibre. Ce n’est d’ailleurs que dans ces conditions que le mélange se met à développer des saveurs boisées, légèrement fruitées et fortement épicées et qu’au cours du fumage je découvre le caractère hautement évolutif et donc complexe de l’Edward G.

C’est la première fois que ça m’arrive : je n’ai pas de conclusion à vous présenter. Franchement, ce tabac me déconcerte.

Motzek, Typ 8 Jubiläumsmischung

Du virginia, du burley, du perique et une pincée de latakia syrien qui sert de condiment. Voilà ce qu’on peut lire sur le site du blender Herbert Motzek. Depuis que DTM et Kohlhase & Kopp ont admis publiquement ne plus disposer depuis des années de shekk-el-bint, je me méfie à chaque fois qu’un mélange produit en Allemagne revendique la présence de latakia syrien.

Le conditionnement en pochette peut induire en erreur. A l’ouverture on se rend immédiatement compte qu’il ne s’agit pas d’un simple drugstore blend. Au contraire, la panoplie de coupes et de couleurs trahit une recette complexe. La photo ci-jointe ne rend d’ailleurs pas justice à la variété de couleurs que je découvre dans ma pochette. En plus, les brins ont une hygrométrie parfaite. L’arôme qui s’en dégage est surprenant : c’est doux, c’est agréable et ça ressemble davantage à un aro discret qu’à un mélange anglais. Tout au fond, je devine des relents sombres de latakia, mais je ne détecte aucunement l’odeur d’encens du vrai shekk-el-bint. Pareil pour le perique : sa présence olfactive m’échappe.

L’allumage est un vrai plaisir. La fumée est crémeuse et veloutée et d’emblée une opulente douceur tapisse le palais. A ma surprise, le latakia immédiatement trahit sa présence. Certes, il reste dans le fond, mais son air de basse permet aux autres ingrédients de swinguer. Et c’est ce qu’ils font sans retenue et avec une grande tessiture : les notes aigües citronnées s’entremêlent aux notes graves de réglisse, de mélasse et de piment. Le résultat est à la fois espiègle, chaleureux et satisfaisant. Bref, niveau goût, le Typ 8 est une réelle réussite.

Dommage qu’un tel plaisir gustatif soit affecté par une certaine agressivité qui n’est pas loin de la morsure. Ce n’est pas que le tabac morde comme un chien enragé, loin de là, mais il faut quand même admettre que malgré la suave entrée en matière, la langue s’avère moins contente que les récepteurs olfactifs.

La Jubiläumsmischung n’est pas un mélange indispensable. Si je le conseillais, ce serait aux amateurs d’aros qui souhaitent faire leurs premiers pas prudents dans l’univers du latakia et à ceux qui n’apprécient le latakia qu’à petite dose.