Font-ils un tabac ? n°41

par Erwin Van Hove

09/03/15

McClelland, Bulk n° 2035 Dark Navy Flake

Vinaigre, tomate. Du VA McClelland tout craché. Par contre, côté visuel c’est assez surprenant : voilà des broken flakes tout noirs qui ressemblent davantage à des fragments de charbon de bois ou bien à ces morceaux d’écorce d’arbre noircis qu’on trouve dans de l’humus. Et durs avec ça, ce qui complique sensiblement le triturage et la combustion. Il faut donc prendre son temps pour bien allumer le tabac sur toute sa surface.

L’attaque est agréable. On retrouve d’emblée le sucre d’un virginia pressé et étuvé et outre le typique vinaigre balsamique, une dose de réglisse. Pas mal du tout. Or, bientôt le goût s’affadit et s’estompe. Certes, l’aigre-doux épicé est équilibré, mais les saveurs sous-jacentes sont tellement fatiguées et feutrées que ça en devient frustrant : c’est en vain qu’on attend qu’elles s’épanouissent sans retenue. Cet effet de sourdine est d’ailleurs renforcé par la combustion timide et difficile qui résulte en une fumée fluette qui manque particulièrement de volume et de densité. De surcroît, les rallumages répétés carbonisent le tabac, ce qui dénature ses saveurs et accentue l’aigreur.

Je raffole de dark stoved virginia, mais pas de celui-ci. Un bon VA étuvé est opulent. Celui-ci est plutôt maigrichon, même s’il prend un peu de coffre dans le dernier tiers. J’admets qu’il ne faut pas attendre monts et merveilles d’un mélange livré en vrac à un prix tout doux. Ceci dit, même dans sa gamme bulk, McClelland sait faire mieux. Et puis, pour quelques dollars de plus, on peut s’offrir un dark stoved virginia conditionné en boîte autrement plus complexe et complet. Essayez le Dark Star par exemple ou la série Royal Cajun.

Hearth & Home, Stogie

Si vous savez que stogie, c’est de l’argot pour cigare, vous comprendrez pourquoi ce blend de Russ Ouellette contient du tabac à cigare, notamment des brins de feuilles de cape maduro. Il les a mélangés avec divers burleys dont du dark-fired, du virginia, des herbes orientales, du black cavendish non saucé et du perique. Tout un programme. A vérifier donc si ce sont l’équilibre et la complexité qui nous attendent ou si cette surenchère d’ingrédients se solde par un cacophonique échec.

Mais d’abord une parenthèse sur les boîtes de Hearth & Home. Certes, elles sont belles et luxueuses, mais leur format XL peut sérieusement induire en erreur. Comme Russ Ouellette les remplit sans aucune pression, elles ne contiennent que 42,5 grammes de tabac malgré leur apparence de boîtes de 100 grammes. Caveat emptor.

Du doré, divers tons de brun et ici et là un brin foncé de perique et de black cavendish. Voilà un mélange visuellement attractif dans lequel on reconnaît aisément le tabac à cigare à sa coupe nettement plus large que celle des autres tabacs. Le nez est complexe, harmonieux et franchement agréable. Une bouffée de vinaigre, un morceau de chocolat au lait, quelques noisettes et fruits secs, une motte de terre sèche, un soupir de grenier moisi. Je reconnais clairement le burley et plus au fond le perique. Pas de trace par contre du tabac à cigare.

Peu humide, le tabac s’allume facilement et se consume assez rapidement. Les premières bouffées sont assez sucrées, mais très vite cette impression disparaît sous l’effet d’une acidité fort présente. Je dois avouer que le goût d’une feuille de cape maduro ne m’est absolument pas familier, ce qui explique peut-être pourquoi j’ai du mal à qualifier le mélange de cigar blend. Ceci dit, j’admets que les saveurs sortent de l’ordinaire : c’est comme si du tabac brun avait été mélangé avec du burley, du virginia et du perique. Il y a donc à la fois un côté terreux, sombre et sévère et de petites notes sucrées et légèrement fruitées. Ce n’est pas mauvais, mais ce n’est pas non plus ma tasse de thé. Par ailleurs, je suis plutôt déçu par le caractère très peu évolutif d’un mélange qui contient pourtant tant d’ingrédients. Le fumage ne me fatigue pas uniquement par sa monotonie, mais aussi et surtout par une insistante acidité sous-jacente. J’aurais également souhaité un peu plus de volume et de virilité.

Il est de mon expérience que la plupart du temps les cigar blends déçoivent. Celui-ci ne fait pas exception. C’est comme si par principe le tabac à cigare boude son cercueil en bruyère. J’estime donc que le bizarre Stogie s’adresse uniquement aux blasés qui ont déjà tout goûté. Ceci dit, en le dopant légèrement au perique, j’ai découvert un mélange qui me semblait plus harmonieux et dans lequel, à ma grande surprise, les saveurs boisées de l’herbe à cigare ont pris un peu plus d’ampleur.

McClelland, Brindle Flake

D’abord un peu d’histoire. A l’origine, c’est-à-dire dans les années 80, le Brindle Flake se vend sous la bannière d’Ashton, une marque produite par C.E. McConnell. En 1989, Kohlhase & Kopp rachète McConnell et se met à distribuer la gamme Ashton des deux côtés de l’Atlantique. Quelques années plus tard, McClelland obtient le droit de produire les tabacs Ashton pour le marché américain. Par conséquent, du jour au lendemain, le goût des Ashton d’Outre-Atlantique diffère foncièrement de celui des versions européennes. Mais voilà qu’au milieu des années 2000, McClelland change de stratégie et se borne désormais à commercialiser aux Etats-Unis les boîtes produites en Allemagne. La clientèle ronchonne, ce qui oblige McClelland à faire marche-arrière et à relancer en 2010 sous le nom Ashton Revival une série de blends faits maison.

Aujourd’hui, le Ashton Brindle Flake ne fait plus partie du catalogue de Kohlhase & Kopp, alors que McClelland continue à produire ce traditionnel virginia en broken flake. Quoique les morceaux de flake épais soient plus clairs que le typique red virginia étuvé qui a fait la renommée de la marque, les arômes qui s’en dégagent, sont archétypiques : de l’aigre-doux façon ketchup, du clou de girofle, du cube bouillon. Encore et toujours. On aime ou on n’aime pas et moi, j’adore. J’en profite pour répéter aux éternels sceptiques que ce parfum si caractéristique n’est absolument pas le résultat de quelque aromatisation. Non, c’est du pure nature obtenu par fermentation.

Afin d’éviter une combustion difficile, il est à conseiller de bien triturer les broken flakes avant de les enfourner. Ils sont par ailleurs ni trop secs ni trop humides. Après l’allumage, on découvre un virginia qui est loin du gros calibre impressionnant. Agréable et complexe, le Brindle Flake tire la carte de la subtilité avec d’incessantes et légères variations et permutations de saveurs tout au long du fumage. Le fumeur attentif découvrira donc aussi bien du pamplemousse, de l’abricot et du pain d’épices que de la réglisse, du caramel et du pain grillé. Entre la douceur discrète, l’acidité tout en finesse et une dose de vitamine N qui ne peut offusquer personne, le mélange est parfaitement bien équilibré.

Même si ce n’est pas un chef-d’œuvre incontournable, le Brindle Flake est un tabac qui prouve avec autorité que du virginia bien né et traité avec savoir-faire n’a point besoin d’ingrédients supplémentaires pour aspirer à la complexité. Une fois de plus les blenders de Kansas City confirment qu’ensemble avec leurs collègues du Lakeland, ils produisent les meilleurs virginias au monde.