Chroniques de l'Ogre, épisode 9

par Erwin Van Hove

18/08/09

Réflexions sur les pipe show

L’année est morose pour les pipe shows, dixit Nicolas Stoufflet. Des Français qui ont participé au pipe show de Rheinbach, semblent plutôt déçus par le nombre de visiteurs et par le manque d’effervescence. A les croire, le phénomène du pipe show est en déclin. Son avenir paraît donc incertain. Dans le forum Fumeurs de Pipe certains s’interrogent même sur les mesures à prendre pour insuffler une nouvelle vie aux pipe shows moribonds.

Or, depuis l’Allemagne et les Etats-Unis me parviennent des bruits complètement différents. Dans les groupes de discussion allemands on parle du franc succès du show organisé par Achim Frank. Martin Reck par exemple regrette ne pas avoir eu le temps de faire à son aise le tour des autres exposants, tellement il était occupé. Quant à ses ventes, elles dépassent de loin ce à quoi il s’était attendu. Qu’en est-il du plus grand pipe show au monde, celui de Chicago ? Les 306 tables disponibles étaient toutes réservées. Frank Burla, l’organisateur, a dû refuser des candidats. Par rapport à l’année précédente, il y avait 46 nouveaux exposants. Quant au nombre de visiteurs, rien d’anormal. Certes, en cette période de crise économique et financière on n’a pas égalé les chiffres de 2008, mais cela ne doit pas inquiéter puisque le cru 2008 était une année-record. Cette année on est tout simplement redescendu au niveau de 2007. Et les ventes alors ? Bien sûr il a dû y avoir des déçus, mais la grande majorité des témoignages va dans le même sens : c’était un réel succès commercial. Certains habitués des pipe shows parlent même d’une année exceptionnelle. Il semblerait donc que l’avenir du show soit tout sauf menacé, d’autant plus que cette année il y avait davantage de visiteurs jeunes que pendant les éditions précédentes. A 9 mois du show 2010, deux tiers des tables sont déjà réservées et Frank Burla vient de signer un contrat pour réserver le Pheasant Run jusqu’en 2013. Bref, finalement les pipe shows ne sont pas aussi moribonds que ça.

Est-ce dire que ceux qui sont rentrés de Rheinbach avec des sentiments mitigés, avaient tort ? Pas du tout. Je les comprends. D’accord, je ne suis pas bien placé pour exprimer un jugement objectif puisque cette année je ne me suis pas rendu à Rheinbach. Et pourtant dieu sait que j’avais envie d’y aller. Déjà au mois de juin j’aurais aimé réserver ma chambre d’hôtel. Or, à deux mois de la date fatidique, impossible de savoir quels pipiers participeraient au show. A un mois de l’événement, certains artisans allemands, pourtant des habitués du show, m’avouaient même pas avoir été contactés par l’organisateur, alors que leur présence avait été annoncée. Pas sérieux, ça. Bref, cette année il était évident que la préparation et l’organisation de la rencontre entre pipiers et pipophiles manquaient d’efficacité et d’élan. Il semblait que le cœur n’y était pas. Remarquez, cela se comprend vu les récents pépins de santé de monsieur Frank. Il n’en demeure pas moins qu’a été mise à jour une faiblesse du show : apparemment l’organisateur n’est pas suffisamment entouré d’une équipe. Or, c’est justement la formule d’un team uni et efficace qui fait le succès du pipe show de Chicago. D’ailleurs, à partir de l’année prochaine Frank Burla passera le flambeau. Sans que cela ait la moindre incidence sur l’organisation de cet événement gigantesque. Par contre, le tout premier pipe show international sur le sol européen, celui de Cuxhaven organisé par Rolf Osterndorff, n’a jamais connu de seconde édition. Non pas que l’événement s’était soldé par un échec. Au contraire. La fine fleur du monde pipier, de Rainer Barbi à Cornelius Mänz, de Baldo Baldi à Tarek Manadily, de Kurt Balleby à Tonni Nielsen, de Rolando Negoita à Lee von Erck, du patron de la marque japonaise Tsuge au pipier néo-zélandais Jan Zeman, était présente. Même la Sainte Trinité, Bo Nordh, Lars Ivarsson et Jess Chonowitsch, était au rendez-vous. Et quiconque a observé comment les visiteurs se sont arraché les pipes de Cornelius Mänz pendant qu’il les déballait, n’a pu avoir le moindre doute sur le succès commercial du show. Non, ce qui a décidé Rolf Osterndorff à ne pas renouveler l’expérience, c’est que, malgré ses demandes d’aide réitérées, il n’a pas réussi à constituer une équipe.

A part le manque de planification et de publicité, y a-t-il d’autres raisons qui pourraient expliquer l’impression de morosité rapportée par les visiteurs français ? Il me semble qu’il y en ait plusieurs. Tout d’abord l’absence remarquée de plusieurs pipiers annoncés. Cela ne fait jamais plaisir. Et puis le fait que peu de pipiers proposaient des pipes spécialement faites pour l’occasion. Il est évidemment moins excitant de découvrir sur les tables des pipes qui traînent depuis des mois sur des sites web. Ce n’est pas tout. Un des atouts majeurs du show de Chicago, c’est la pléiade d’activités et d’animations : expositions de collections thématiques, exposés par de collectionneurs et des connaisseurs connus, prix décernés aux plus belles tables, aux collections les plus impressionnantes, aux individus dont les mérites dans le petit univers de la pipe sont récompensés. S’ajoutent à cela les dîners, les enchères, les cours donnés par des pipiers et des réparateurs de renom, la possibilité de vendre des estates ou du faire du troc dans les chambres du Pheasant Run. Or, alors qu’avant, les visiteurs de Rheinbach pouvaient assister à une démonstration de la méthode de bourrage Frank, observer les pipiers à l’œuvre, participer à des enchères silencieuses, cette année rien de tout cela. Ca me paraît une faute. Un pipe show n’est pas un simple salon de vente. Reste un dernier facteur qui a pu avoir une certaine influence, pour ne pas dire une influence certaine sur le nombre de visiteurs. Ainsi, un célèbre collectionneur allemand m’a confié que c’était la raison pour laquelle il ne se rendrait plus à Rheinbach. Alors que le show s’intitule officiellement German Pipe Makers & Friends, il semblerait que pas tout le monde soit considéré par monsieur Frank comme un ami. Par le passé il a refusé des tables à certains pipiers pourtant désireux de participer. Ca a fait du mauvais sang. Peut-être même que ce refus se trouve à l’origine de la naissance du pipe show de Fürth. Cet ostracisme a connu son apogée il y a deux ans lorsque monsieur Frank a interdit à Tom Eltang et à son ami Per Billhäll, le propriétaire du commerce Scandpipes.com, de vendre les pipes qu’ils avaient amenées. Eltang et Billhäll ont dû rentrer bredouilles au Danemark. Il va sans dire que les visiteurs, dont moi, qui étaient au courant de la façon dont les Danois s’étaient fait éconduire, n’ont pas exactement apprécié les façons de monsieur Frank. Un pipe show à vocation internationale et amicale où l’on refuse des monuments pour la seule raison qu’ils pourraient faire de la concurrence au commerce de monsieur Frank, ça fait sourciller. Ca, ça ne me paraît pas une faute. C’est une gaffe monumentale.

Ceci dit, je ne voudrais surtout pas ternir la réputation d’Achim Frank. Il ne faut pas l’oublier : s’il peut avoir des torts et des tares, avant tout il a le mérite incontestable d’avoir fondé un pipe show plus que respectable. D’ailleurs il se pourrait bien que la baisse du nombre de visiteurs soit due en premier lieu à des raisons fondamentales sur lesquelles aucun organisateur d’un événement pipier européen n’a de l’emprise. En effet, l’Europe n’est pas l’Amérique. De notre côté de l’Atlantique il n’y a plus de distances. Cela veut dire que le fumeur de pipes moyen et typique, celui qui fume, sans trop se poser des questions, ce qu’on lui propose dans le commerce, trouve sans difficultés et sans devoir faire des déplacements de plusieurs heures, ses Butz et ses Chacom, ses Stanwell et ses Peterson. Par contre, je connais des Américains qui se voient obligés de parcourir 500 km aller-retour pour trouver un commerce plus ou moins spécialisé dans la pipe et le cigare. Dans ces conditions, ces gens-là préfèrent faire un déplacement de plusieurs centaines de kilomètres pour jouir du choix incomparable que leur offre l’un des innombrables pipe shows organisés annuellement aux quatre coins des Etats-Unis. Le fumeur de pipes de série européen, lui, n’éprouve nullement le besoin de faire un voyage pour visiter un show. Par conséquent, ne reste donc qu’une toute petite minorité : les vrais passionnés, ceux pour qui la pipe est plus qu’un simple outil de fumage. Or, vu qu’ils sont passionnés, ces gens-là consacrent pas mal de temps à la pipe. Ils visitent régulièrement les sites web des artisans et des commerçants spécialisés. Ils traînent sur eBay. Ils participent à des forums. Et bien évidemment ils sont en contact avec d’autres passionnés dans leur genre. La plupart du temps ils entretiennent même des rapports, parfois privilégiés, avec leurs pipiers préférés. Cela étant, ils n’éprouvent pas vraiment le besoin de se rendre à un show pour acheter les pipes qui leur plaisent. Ni d’ailleurs pour découvrir les nouvelles œuvres de leurs artisans favoris puisque ceux-ci leur montrent en avant-première les pipes qu’ils ont préparées pour un show. Bref, en tant que salon de vente, un pipe show n’a pour les passionnés qu’une utilité toute relative. Pour eux, l’attrait premier de ce genre d’événement est de nature sociale. Or, c’est à se demander si à leurs yeux cet attrait-là justifie à lui seul des déplacements longs et fatigants et des frais de voyage et de séjour.

Oui, mais peut-être qu’un endroit plus prestigieux qu’une petite ville de province comme Cuxhaven, Rheinbach ou Fürth pourrait faire toute la différence. Paris par exemple. Cette idée me fait sourire. Et hop, on va encore m’accuser de racisme anti-français. Tant pis. Il faut quand même un minimum de réalisme. Les vrais marchés de la pipe artisanale, ce sont les Etats-Unis, l’Allemagne et de plus en plus la Russie et l’Asie. La France et la Belgique sont, à cet égard, des déserts, dominés qu’ils sont par les deux grands groupes français. Par conséquent, le nombre de collectionneurs de high grades et de connaisseurs de l’univers de la pipe faite main y est extrêmement limité. Dans ces conditions il me semble fort naïf pour ne pas dire suicidaire de vouloir organiser un pipe show à Bruxelles ou à Paris. D’ailleurs la vaste majorité des fumeurs de pipe belges et français étant convaincus qu’une bonne pipe vaut 50 euros, la confrontation avec les prix des danoises, allemandes ou américaines risquerait de susciter une vague d’indignation. Et, qui sait, des crises cardiaques. Et comme de nos jours il faut tout faire pour protéger la santé publique,...

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