Vendre ses pipes

par Guillaume

19/01/09

Pourquoi vendre ses pipes ?

Deux choses surprennent généralement les nouveaux arrivants quand ils voient des pipes déjà fumées en vente :
Ils apprennent avec stupeur que l'on peut vendre et acheter des pipes qui ont déjà été fumées.
Ils s'étonnent que l'on vende des pipes.

Or pourquoi vend-t-on ses pipes ?

Pour de bonnes raisons :
-on a déjà plusieurs pipes d'un même pipier, et l'on s'aperçoit que l'on préfère certaines à d'autres. Mais le même pipier, ou un autre, proposant une nouvelle pipe, très attrayante, il faut se décider à lâcher du lest.

-on n'a qu'une pipe d'un pipier, mais, si on lui reconnaît des avantages, on est prêt à s'en séparer pour une autre.

Pour de mauvaises raisons :
-on est obligé d'arrêter de fumer
-on a le fisc aux fesses

Il y a deux possibilités :

le vendeur vend des pipes qu'il ne trouve pas assez bonnes pour lui : à noter d'ailleurs que ça n'est pas parce qu'elles ne lui conviennent plus qu'elles ne donneront pas beaucoup de plaisir au propriétaire suivant.

le vendeur vend des pipes délicieuses, mais il est coincé : il ne peut qu'espérer que l'acheteur en sera aussi heureux que lui.

Certains ne comprennent pas qu'on vende ses pipes, parce qu'ils sont tellement attachés aux leurs, qu'ils considèrent cela comme une trahison. Ils ont passé tant de temps avec leurs pipes que trop de souvenirs y sont attachés pour qu'ils s'en débarrassent.

Je comprends d'ailleurs parfaitement cela, à condition qu'ils les fument, et qu'ils ne les rangent pas dans un tiroir d'où elles ne sortent pratiquement jamais.

A savoir que nous sommes tous différents, dans ce sens où certains d'entre nous vont rattacher quelque objet que ce soit, pas forcément une pipe d'ailleurs, à des souvenirs, des moments, des périodes bonnes ou mauvaises.

D'autres se poseront simplement la question : cet objet remplit-il toujours, pour moi, pleinement son office ?

Car enfin, même si l'on a de très bons souvenirs rattachés à une voiture, une chaine hifi, que sais-je encore, il faut bien en changer de temps en temps. Ou alors l'on transforme son jardin en annexe de dépotoir.

Il y a aussi ceux qui éprouvent une certaine répugnance à porter en bouche un bec suçoté par quelqu'un d'autre. Il est surprenant de constater que la plupart du temps, ils ne savent pas qu'une pipe s'entretient et se nettoie. Porter en bouche une pipe fumée par un autre, ou une pipe que l'on a fumé pour la dernière fois il y a trois jours revient au même, si on y regarde bien.
L'un d'entre nous avait trouvé cette image que je trouve très juste : se pose-t-on la question au restaurant, quand on se sert de couverts qui en ont vu, passez-moi l'expression, des vertes et des pas mûres ?

Il m'est arrivé, malheureusement, de devoir vendre des pipes auxquelles j'étais très attaché. Les revoir en photo me provoque toujours un petit pincement au cœur. Il est toujours plaisant, dans ces cas-là, de recevoir quelques temps après un mail enthousiaste, qui prouve qu'elles ont été adoptées.

Il m'est arrivé aussi de vendre des pipes que je ne trouvais pas fameuses, c'est le plus difficile. D'abord il faut bien mettre en avant ce que l'on considère comme un ou des défauts. Il m'est arrivé aussi de proposer d'emporter la pipe, et de ne la payer ou de la renvoyer qu'après essai.

Reste le prix. Il m'est arrivé de vendre des pipes pas assez cher. On m'a repris là-dessus, et on a eu raison. Une pipe neuve a une valeur. La même, fumée, a aussi une valeur. non pas parce que je l'ai fumée - quoique - mais parce que la somme de travail qu'elle a demandée n'en a pas été amoindrie pour autant. Revendre une pipe à un prix trop bas, c'est en quelque sorte léser le pipier : si l'on revend des pipes trop bas, on hésitera d'autant plus à les acheter neuves.

Intervient la question de l'argent. Je suis toujours étonné quand je vois certains se boucher le nez, disant que faire de l'argent en vendant une pipe, c'est pire que d'être boursicoteur. Mais quand je revends une pipe, je ne revends pas le bon d'achat, je revends la pipe.
Il y aurait pire que cela d'ailleurs, ce serait de revendre des pipes à des prix ridicules, sous prétexte que si on les revend, ça n'est pas pour faire de l'argent. Bien sur, c'est un exemple un peu tiré par les cheveux, mais suivez-moi bien :
J'achète une pipe, je la fume, et je la revends, mettons 10 euros, parce que je ne suis pas collectionneur ni commerçant, ni intéressé par l'argent. Je les revends à ce prix-là par ce que j'ai une belle âme. Que l'argent ne m'intéresse pas. Je suis au-dessus de cela.
Très bien, mais ne croyez-vous pas que vous pourriez me dire : si vraiment tu es au-dessus de cela, alors donne-la moi, parce que dix euros, c'est trop ou pas assez. Si tu n'es pas là pour faire de l'argent, donne-la moi. Si tu me dis que c'est pour acheter une autre pipe, je ne pense pas que celle que tu achèteras coûte 10 euros.
Et vous seriez même en droit de me dire : pour la revendre si peu cher, tu laisses à penser que cette pipe ne valait pas un clou. Or, tu en as dit le plus grand bien. Tu laisses à penser que le pipier qui l'a vendu quinze fois plus cher est non seulement un mauvais pipier, mais en plus un escroc. Or, tu en as parlé comme d'un ami, et tu t'es fait l'écho de ces mises à jour.
Bien sur, je force la note. C'est un exemple, heureusement. Mais si vous avez suivi ce raisonnement, vous serez d'accord avec moi pour penser qu'on ne revend pas n'importe quoi, on revend une pipe. Et que donc on ne la revend pas à n'importe quel prix.

A ce sujet, je constate avec surprise que quelques pipes sont toujours en vente, sur le site. Je peux en parler, puisque l'un des miennes était dans le lot. C'est une Moretti. Hors Marco a toujours la côte parmi nous. Pourquoi donc ce désintérêt ?

-la pipe était peut-être vendue trop cher
-cette forme que j'appréciais beaucoup, et bien, il semble que je sois le seul.

Cette pipe, un visiteur du site m'en a proposé moitié-prix. Pour les raisons exposées plus haut, j'ai refusé. Mais peut-être aurais-je du baisser un peu mon tarif ?
Vendre cette pipe ne me faisait pas plaisir, n'aurais-je pas voulu, inconsciemment, décourager les intéressés ? Quand à la forme, eh bien elle me plaît toujours...

C'est un peu le souci : vous avez décidé de vous séparer d'une pipe. Comme il faut couper le cordon, vous commencez par la nettoyer. Vous prenez des photos. Pouf, l'annonce passe. C'est déjà une étape.
Puis, vous prenez la décision de ne plus la fumer bien sur. Inutile de remuer le couteau dans la plaie. Il vous font donc la ranger à portée de main, histoire de ne pas remuer tout votre appartement si un acheteur se présente. Mais il faut aussi ne pas non plus la ranger sous vos yeux. Et même, quand l'acheteur vient vous voir, qu'il se déplace, qu'il la regarde, la scrute, c'est toujours un soulagement de le voir la ranger très vite dans sa poche, sa sacoche, pourvu qu'elle disparaisse.

D'ailleurs cette pipe qui ne s'est pas vendue, et bien, je vais la faire disparaître aussi... des pages Vente ! Et je vais la refumer dès ce soir !

Permettez-moi de revenir quelques années en arrière - mine de rien, ça commence à chiffrer maintenant... en 2002, un membre belge arrivé récemment commence à passer quelques messages disant : je vends des pipes, cliquez-là, vous verrez les images. Cela me revient à l'esprit parce que je suis en train de fumer la première pipe que j'ai achetée à Erwin : une Ruthenberg volcano, faite en 2001. Erwin avait écrit un article (plaidoyerestates.htm) pour démontrer l'intérêt d'acheter des pipes estates ou préfumées. J'étais, et je suis toujours, bien conscient des avantages que cela peut apporter. Le nombre de pipiers dont j'ai découvert le travail par ce biais est important, très important même.

Il se trouve qu'à l'époque, nous n'avions jamais entendu parler de cela. Il faut bien le dire, pendant pas mal de temps, Erwin a fait bide sur bide. C'était pour moi la belle époque, puisque je travaillais, et que du coup j'étais particulièrement ouvert aux tentations (je suis toujours ouvert aux tentations, mais mon banquier n'est plus d'accord).

J'étais donc le seul à profiter de ces occasions. Bien tranquille. Peinard. Je pouvais même ne lire le message que tard dans la nuit, j'étais sur de mon fait. Et il est clair que pendant un temps, j'ai pu être considéré comme l'acheteur patenté des pipes d'Erwin.

Et puis, petit à petit, la situation a changé. Erwin a commencé à me dire, content, qu'il avait quelques mails suite à ses annonces. Les nuages ont commencé à s'amonceler. Puis Erwin me répondait, parfois, que j'arrivais trop tard...
Bien sur, j'ai pu encore en profiter, mais ça devenait plus difficile. A ce sujet, j'ai toujours une anecdote et un petit poids sur la conscience. Olivier, un membre du groupe, voisin proche, m'avait demandé, pendant son absence, de sortir son chien. Ne me demandez pas la race, je ne connais rien en chien. Pour les amateurs de whisky, ils sauront ce que c'est quand je leur parlerai du "Black and White". Le chien d'Olivier est un white.

Les premiers jours ont été difficiles. D'abord, j'ouvre la porte, et j'entends plein d'aboiements. J'entre quand même, le chien aboie toujours, mais de plus loin. Puis il renonce, et va se cacher sous la table. Il feint de m'ignorer. Il regarde ailleurs avec obstination. Il faut que j'agite la laisse et que je parlemente un moment pour qu'il se laisse attacher. Nous sortons. Ce chien est un grand timide. Il craint les voitures qui passent dans la rue, les autres chiens, les poussettes, les gens. Il m'oblige donc à courir, parce qu'il cherche un endroit adéquat, mais pas trop éloigné. Il se concentre fortement, produit quelques gouttes, et se dépêche de courir jusqu'à la porte d'entrée, moi derrière. Une fois rentré chez lui, il retourne sous la table.

J'ai eu droit au même cirque pendant quelques jours. En m'étonnant toute fois qu'il ne profite pas de ses sorties pour produire quelque chose, comment dire, de plus consistant. Je pense qu'il se retient. Olivier m'apprendra qu'il ne s'est pas retenu derrière le canapé, où je n'étais évidemment pas allé voir...
J'aime bien le toutou, mais je trouve qu'il manque de conversation, même s'il semble se laisser amadouer au bout d'un moment. Le plus dur est d'affronter mon chat à mon retour, puisqu'il me renifle, me regarde d'un air dédaigneux, et me tourne le dos.
Un jour, Olivier, très gentiment, m'invite à boire un petit coup. Je note que white est rassuré de me voir en présence de son maître. Il est moins méfiant. Beaucoup moins méfiant quand Olivier ouvre une boîte de fois gras; beaucoup plus proche quand je finis mon fois gras; il remue la queue quand je trempe mon doigt dans le gras qui reste dans l'assiette, et le lui donne à lécher. Délirant quand je répète l'opération. depuis, c'est un fait : ce chien m'adore. Lui et moi sommes amis à vie. Nous finissons un très bon vin, je rentre chez moi, Olivier me dit qu'il va faire la vaisselle et jeter un œil à ses messages.
Et c'est là que tout se joue : rentrée chez moi, bouderie du chat, je regarde les mails du groupe, vois qu'Erwin vend quelques pipes, dont celle-ci. Un guillochage proprement incroyable. J'envoie à Erwin un mail au style lapidaire : pour moi !!!
Et j'attends.
Erwin me confirme qu'il m'envoie la pipe.
J'apprends après qu'Olivier lui a écrit trois minutes après moi. Erwin s'est excusé, parce qu'il arrivait un poil trop tard.
Moralité : ne faites jamais la vaisselle.
ou alors pas tout de suite.