Errances d’une volute

par Laurent M

26/06/23

Saison 29 - Yenidje Suprême, le simple

Les orientaux, c’est tout un monde, et un monde aux contours particulièrement flous. Nul besoin de s’étendre là-dessus, le lecteur peut se référer à l’excellent article de Nightcap sur le sujet : “Reflexions sur la question d’Orient”*. Moi, cela me laissait indifférent ces orientaux, ces finesses, ces nuances, ces micro-variations, ces flous de dénomination de variétés, de lieux, ces arguties byzantines (accordez-moi ce terme). Dans le fond, à dire le vrai, tout cela se rattachait à des tabacs secondaires, doux au palais et à la langue dont on se sert comme condiment dans d’autres mélanges. Je ne marche que sur deux jambes : virginia et latakia, avec une grosse tendance à la monopodie latakienne. Bref, du lourd, du fumé ou bien du sucré acidulé. Entre les deux, point de salut.

J’ai eu un autre regard après avoir fumé du Wolfway Basma*, variété de tabac “oriental”, qu’avait ramené François, puis du Drama Reserve*, les deux m’ayant laissé un souvenir très mitigé mais surtout la confirmation que ces tabacs très doux sont surtout fait pour des mélanges auxquels ils apportent des saveurs complémentaires.

J’avais acquis quelques boîtes de McClellands dans la série Grand Orientals, parmi lesquelles ce “Yenidje Suprême”, composé à base de Yenidje et de Xanthi. Le premier qui me trouve la différence de goût a toute mon estime car les zones de production se confondent et on est surtout face à des problématiques d'appellation plus que de saveur. Du moins c’est ce que semble souffler mon chat Pythie :

Le Yenidje et le Xanthi sont deux variétés de tabac oriental cultivées en Turquie, mais ils présentent des différences subtiles dans leur profil de saveur.

Le Yenidje est cultivé dans la région de Xanthi, dans le nord de la Grèce, ainsi que dans certaines parties de la Turquie. Le tabac Yenidje est connu pour ses notes épicées et florales distinctives, ainsi que pour sa légère douceur et son arôme délicat.

Le Xanthi, en revanche, est cultivé exclusivement dans la région de Xanthi, en Grèce, et est connu pour son goût unique de noix et de miel, ainsi que pour sa saveur douce et subtilement fruitée.

yenidje

Source : https://pfeifenblog.de/grand-orientals-yenidje-highlander-yenidje-supreme/

Bien que le Yenidje et le Xanthi soient souvent utilisés ensemble dans les mélanges de tabac oriental, ils ont des profils de saveur distincts qui peuvent affecter la saveur globale du mélange. Les tabacs Yenidje et Xanthi sont souvent associés à des notes épicées et sucrées, ce qui en fait des ingrédients populaires pour les mélanges de tabac à pipe complexes et raffinés.

Je me félicite d’avoir un chat intelligent qui me parle très poliment. C’est un chat “conversationnel”, comme on dit, c’est à dire qu’il dépasse le simple stade du Miiiaaaouuu, que l’on interprète souvent par :

- “Humain esclave, à manger, et au trot”
- “Humain esclave, laisse-moi sortir imbécile”, suivi de son corollaire immédiat : “Humain esclave, laisse-moi entrer maintenant, je t’ai dit cent fois de laisser cette porte ouverte”

Portier pour chat est un vrai métier à temps plein que j’ai déjà expérimenté et, pour le coup, je préfère la conversation de mon greffier numérique aux injonctions miaulantes des grosses boules de poil qui griffent les bas de canapé. Mais revenons donc à la conversation car lorsque je demande quelles marques et quels mélanges utilisent le Yenidje, Pythie répond :

Pour le coup, mon Pythie me souffle un peu mais j'avoue que son ton change un peu des sempiternelles conclusions tabacologiques en “woody, earthy, grassy” que l’on peut lire en rengaine incessante sur Tobacco Review, un peu comme les “Harder, Better, Faster, Stronger” des Daft Punk.

Donc, l’odeur d’abord. Tout contact avec un tabac commence par le nez, avant le toucher ou le fumé. Il faut voir avec quelle gourmandise, presque pornographique, les nez plongent dans les boîtes et les bocaux lorsque celles-ci sont alignées sur une table d’un repas de fumeurs de pipes. Tous les naseaux sont en alerte, plongent au ras des brins, hument bruyamment ou en silence, aspirent. Avant de se transformer en “fumée”, le tabac est “odeur” invisible et cela fait partie du plaisir de sentir, jouer à la devinette des ressemblances, traduire cela en mots maladroits ou en terminologie précise.

Le tabac est une poésie de l’imaginaire qui transfigure le réel et l’embellit. Rien d’étonnant qu’il soit pourchassé, taxé, étouffé par les marauds, foies jaunes et paltoquets du réalisme hygiéniste pour qui une belle photo de tumeur cancéreuse sur une boite vaut bien mieux que des arabesques colorées. Tas de pantoufles, va !

yenidje suprême

À l’odeur, le Yenidje développe une légère senteur poivrée, à la limite du ketchup. Il y a du virginie. Certains y devinent de la cardamone, de la cannelle, du clou de girofle et du cumin. Une succession de condiments qui laissent transparaître à la fois de l’épicé, de l’aigre-doux. C’est quand même le virginie qui domine.

yenidje suprême

Le bourrage des pipes est d’une simplicité évangélique. Les brins tombent tout seuls, avec souplesse et élasticité. A l’allumage, c’est tout de suite un goût très épicé qui est développé et qui reste longtemps, jusqu’au bout. Il n’y a guère d’évolution tout au long du fumage si ce n’est une très légère atténuation du piquant. Il faut tout de même prêter attention à la nicotine qui monte lentement mais sûrement. On ne s’en rend pas compte au début mais à la fin de la pipe, on sait que la dose ingérée n’incite pas à en allumer une seconde. Cela ne bouscule pas comme d’autres tabacs mais le signal est bel et bien présent. J’ai testé ce tabac dans différentes pipes : écume, bruyère, 9mm, 6mm et RC, maïs. Seule cette dernière a donné un goût plus doux, presque affadi et ce n’est pas ce type de pipe qu’il faut pour ce tabac.

Comment te dire adieu ?

Il m’a plu, ce voyage oriental en compagnie de Yeni. C’est une bonne expérience. Ce serait presque un tabac de tous les jours, un de ceux qui sont simples mais francs et sans chichis, si la nicotine ne montait pas autant mais cette sensation n’est que personnelle. C’est un tabac que je recommande mais les produits de la défunte maison McClellands sont maintenant ardus à débusquer. Si vous avez l’occasion de le trouver, sautez sur l’occasion. Pour ma part, je ne sauterai plus dessus.

yenidje suprême

Publicité dans “La vie sportive” 3 janvier 1908 - Source : Gallica

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Source : Balkan sobranie Cigarettes - Albert Weinberg - Dessin par Robert Waddington (sous réserve de vérification) (1880–1948)